Au moment où les premiers signes de la tempête britpop se font sentir, les Happy Mondays n’existent plus. Tout comme le mouvement baggy qui s’est effondré de lui-même à force d’excès. Même sa tête de gondole, les Stone Roses, peinent à offrir un successeur à leur génial premier album. Au détriment de leur public dont les attentes devinrent démesurées lorsqu’ils firent paraître, enfin, leur Second Coming.


Dans ce contexte, tout porte à croire que Shaun Ryder est condamné à disparaitre dans l’oubli, même après avoir atteint des sommets de popularité. Lâché par ses anciens collègues avec qui il ne s’entend plus. Autant gorgé de drogues que les rayons de la plus grande pharmacie du pays et privé de label (Factory ayant mis la clé sous la porte), il est dans une panade monstre. Sauf que toutes ces épreuves ne le mèneront pas au suicide ou à l’overdose. La mentalité des Anglais de cette période n’ayant rien à voir avec les troubles bipolaires du grunge de l’autre côté de l’Atlantique. Ce qui ne vous tue pas, vous rend plus fort. Une merveilleuse philosophie que Shaun va appliquer, méthodiquement et patiemment, afin de préparer son retour en grandes pompes.


S’il n’a plus de groupe, il s’attèle rapidement à en constituer un nouveau qu’il surnomme Black Grape. Il réussit à convaincre son ancien danseur aux maracas jaunes (Bez) de le rejoindre. Puis se tourne vers plusieurs membres d’une formation culte du hip hop British : Ruthless Rap Assassins (auteur d’un étonnant Killer Album). Dont fait partie le bien nommé rappeur Kermit qui va jouer un rôle primordial dans le disque qu’il s’apprête à concocter.


Deux ans seront nécessaires pour faire mijoter ce bon petit plat dont tout le monde se contrefout à cet instant. Le public et les journalistes Rosbifs étant trop occupés à se prendre la locomotive britpop en pleine tronche tant ses wagons regorgent de disques incroyables. Cela n’empêche pas les singles « Reverend Black Grape », « In The Name of the Father » et « Kelly's Heroes » de faire une entrée fracassante dans les charts sans que personne ne les aient vu venir. Le skeud dont ils sont tirés se loge même directement à la première place des ventes du Royaume Uni.
It's Great When You're Straight...Yeah! (rien que ce titre a des allures de revanche sur la vie) parait au bon moment. C'est à dire en plein été. Ce qui permet aux Britons de redécouvrir une musique dansante et insouciante qu’ils avaient complétement oublié. Une musique qu’ils écoutaient, pourtant, en boucle quelques années auparavant ! Les temps changent et l’actualité bouge vite. Trop vite au dire de certains puisque le public passe à côté de beaucoup de bonnes sorties au milieu des 90s.
Heureusement, la bonne fée du succès n’a pas subitement lâché Shaun et lui permet de faire un retour en force. Un triomphe, critique et commercial, mérité tant ce disque s’avère, avec le recul, comme un des plus décomplexés que la britpop ait pu engendrer.


Musicalement, on est bien dans la continuité de ce rock groovy et psychédélique que pratiquait les Joyeux Lundi. Seulement, l’apport des ex-Ruthless Rap Assassins le fait évoluer en un hybride dance, pop rock, psyché et hip hop. Le sampling fait une entrée remarquée dans leur univers. Enrichissant considérablement leur son, au point que cela peut donner la sensation d’un sacré boxon à la première écoute.
Le groove est important et même vital dans cette musique. Cependant, le grand tour de force de cet album, c’est que les mélodies et les "hooks" ne sont pas sacrifiées. S’il semble plus réaliste de parler de jam plutôt que de compositions pour ces morceaux, cela ne vire jamais dans des improvisations sans but, ni direction. Les refrains pleuvent tel le crachin sur Londres (« Tramazi Parti » ou « Yeah Yeah Brother ») et Kermit s’autorise à être fidèle à son pseudonyme en croassant de manière jouissive (« In the Name of the Father »).
Ryder concède même à roucouler pour attirer les groupies sur un « A Big Day in the North » plus trip hop que nature. Avec en prime, un délicieux porn sax fantomatique et un spoken word cochon dans la langue de Molière. Sacré Shaun ! Sans oublier ses paroles surréalistes dont il a le secret ("Jesus was a black man ! No, Jesus was Batman! No, no, no, that was Bruce Wayne…" Pardon ??!).


Sans atteindre l’aboutissement suprême de Pills 'n' Thrills and Bellyaches (les pistes 8 et 9 sont sympathiques mais loin d’être indispensables), It's Great est un des meilleurs travaux du plus fêtard des drogués d’Angleterre. Une œuvre dont l’originalité n’empiète pas sur son fun communicatif. Et dont l’amusement ne dérive, en aucun cas, vers une lassante facilité. Un come-back légendaire.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 15 oct. 2017

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