Villa-Lobos, et je ne crois pas que beaucoup de guitaristes auront le cœur de me contredire, est le compositeur pour guitare du XXième siècle (n'en déplaise à Léo Brouwer...). Ce siècle n'a pas manqué de chef d'œuvres pour la six cordes, la suite de Compostelle de Mompou, le tombeau de Debussy de Falla, le Nocturnal de Britten, le cinq bagatelles de William Walton, mais toutes ces dernières ont en commun d'avoir été des œuvres de commande écrites par des compositeurs qui n'étaient pas guitariste. Villa-Lobos était lui guitariste émérite et passionné de l'instrument, auquel il a offert trois séries de pièces, un concerto et un choro concertant. Il a donné toute la mesure de son génie créatif pour la guitare et lui a écrit quelques unes de ses plus belles pages. Par ailleurs, étant un technicien autodidacte de l'instrument il a repoussé à son époque sa technique plus loin qu'elle ne l'avait jamais été. On raconte que Segovia, pour qui ses études furent composées, déclara que celles-ci étaient purement et simplement injouables. Comme il arrive souvent dans des cas pareils il semble à présent incroyable que les innombrables trucs inventés par Villa-Lobos aient pu sembler un jour si étranges dans la mesure où ils font à présent partie intégrante de la technique guitaristique classique. Cela n'enlève rien à ce qu'ils ont de fondamentalement révolutionnaire, bien au contraire: qu'ils aient été digérés avec tant d'avidité ne fait que souligner leur ingéniosité.


Et pour ces pages cardinales de la musique de la guitare qui mieux que Julian Bream pour tailler une version de référence? SI Villa-Lobos est le compositeur/guitariste du XXième siècle on peut tout autant argumenter que Bream en est le virtuose. Peu de guitaristes auront son influence, sa place dominante dans la musique de son instrument, et ce sur un répertoire aussi large. Bream est une référence dans le domaine de la musique romantique, contemporaine, baroque et renaissance, il a su se lier à tant de grands artistes et compositeurs que seul Segovia peut se targuer d'avoir autant d'œuvres majeures dédiées à son nom. Cela lui a aussi permis de jouer avec les plus grands de son époque, ce qui est extrêmement pratique quand on veut enregistrer le très beau concerto de Villa-Lobos et qu'on peut le faire avec un chef tel que Previn et un orchestre comme le symphonique de Londres. Cette puissance derrière le son impeccable du maestro fait ici toute la différence, éclairant les sonorités chatoyantes de l'orchestre. Mais c'est surtout la qualité toujours impressionnante de sa technique et l'exigence et la profondeur de son interprétation, qui assurent sa stature dans le monde de la musique. Toujours expressif, toujours clair et d'une précision redoutable, le son de Bream est un enchantement de tous les instants.


La rencontre de ces deux géants de la guitare ne pouvait donner qu'une pierre de touche dans le répertoire de la guitare. Pour bien des années encore, ces œuvres resteront une aune à laquelle se mesurer pour tous les aspirants virtuoses, un classique incontournable.

Listening_Wind
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le 18 avr. 2015

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