L'Amour
7.2
L'Amour

Album de Randall A. Wulff (1983)


  1. Nous sommes en train de rouler quelque part à bord d'une Mercedes décapotable blanche, nous roulons, roulons, jusqu'à entrer dans un boulevard, un boulevard aux trottoirs parsemés de palmiers parfaitement alignés et doctement soignés... Il est tard mais la lumière est éblouissante, de telle façon que nous arrivons facilement à discerner les formes et les couleurs, elle provient des centaines de boutiques de luxe que nous voyons défiler de part et d'autre des deux allées. L'endroit est calme, c'est drôle, je n'avais pas remarqué. Les lumières continuent de défiler sur les visages, assurément, la nuit est plus belle que le jour par ici. Nous nous arrêtons progressivement à un feu rouge, son halo est si grand qu'il s'étend et se répand jusqu'à notre volant laissant ainsi entrevoir un poignet, un poignet légèrement velu qui porte une montre d'une grande valeur... Voilà qu'une autre main apparaît et vient se poser sur la sienne, elle le caresse avec délicatesse et chaleur, je ne peux pas voir leurs yeux mais je sens qu'ils se regardent avec une intense admiration. Les deux visages noircis par l'obscurité se rapprochent et s'embrassent doucement avant de faire une courte pause, juste le temps de se regarder encore avant de repartir. Les silhouettes disparaissent et le feu passe au vert. Nous roulons encore une centaine de mètres et le chauffeur se rabat finalement sur le côté, je crois que nous sommes arrivés à destination... L'homme ouvre la portière et sort du véhicule. Ah !... Je le voie enfin ! Il est exceptionnellement beau, beau comme un rêve. Il est grand, blond et sa coiffure est irréprochable. Son costume blanc taillé sur mesure lui va à ravir, il est d'ailleurs assorti à sa voiture. Le crooner fait quelques pas et ouvre courtoisement la portière de sa compagne. Elle aussi est sublime, elle semble tout droit sortie d'un magazine de mode. Les deux amants s'enlacent un moment et se dirigent vers une boutique, non, je crois que c'est un studio d'enregistrement.


Ils entrent et longent silencieusement le couloir, l'homme demande à un responsable de lui prêter une guitare, il accepte et lui ouvre les portes du studio. Il s'installe rapidement, s'assied sur un tabouret, ajuste le micro et commence à chanter... La voix est d'une douceur rare, à fleur de peau et les mots toujours chuchotés, comme un murmure empreint de nostalgie qui prend plaisir à s'évaporer lentement sous le poids léger de l'Amour. A vrai dire, je n'ai jamais de ma vie entendu quelque chose d'aussi pur... Son phrasé est sans cesse accompagné d'un synthé dont le son monte et reflue de façon étonnante, sans se soucier ou s'accorder aux instruments et à la voix du chanteur, il garde miraculeusement une logique parfaite et réussit à créer ce curieux équilibre. Parfois, la guitare ponctue nerveusement ce que le crooner n'ose pas ou ne peut pas dévoiler avec sa voix fragile. Tantôt il regarde sa petite amie assise non loin, tantôt il plonge la tête baissée dans sa guitare, toujours avec cet air sensible et heureux. Les merveilleuses mélodies éthérées s'enchaînent sans jamais perdre une seule seconde d'intensité, il s'essaye également au piano avec la même réussite et dans un élan d'amour se permet même un solo, un solo au message intelligible qui pourrait se traduire par un merci mélancolique plutôt qu'une promesse. Grandiose... Le voilà qui se lève pour faire un signe au responsable et s'en va droit vers la sortie accompagné de sa promise, sans se retourner ils grimpent dans la décapotable et partent aussi étrangement qu'ils sont venus.



Près de 25 ans plus tard, un collectionneur de vinyle nommé Jon Murphy tombe sur un exemplaire de L'Amour à un marché aux puces à Edmonton au Canada. Il tomba tout de suite amoureux de ce disque, et persuadé d'avoir trouvé là une perle, il décida de le confier au label Light in the Attic, qui, eux aussi complètement convaincus par la grande qualité et singularité de l'oeuvre ne tardèrent pas à le rééditer. Nous n'avons à ce jour aucun élément autobiographique précis concernant cette mystérieuse personne, nous savons seulement qu'en 1983, un gars nommé Randall Wulff, un pensionnaire du Beverly Hills Hotel, s'est présenté à Music Lab studio à Los Angeles avec une Mercedes blanche décapotable, une belle petite amie, une coiffure parfaite, et une poignée de mélodies synth-pop-folk éthérées. Wulff a ensuite engagé le photographe Ed Colver, connu dans le milieu punk de la côte Ouest, afin de tirer la couverture de l'album de façon à ce qu'elle soit monochrome. Il le rémunéra avec un chèque de 250 dollars pour son travail mais curieusement le chèque fut rejeté car sans provision, et le musicien ne donna plus jamais de nouvelles. Était-il un escroc ? Un trafiquant de drogue ? Une apparition fantomatique ? Certaines personnes se plaisent à le croire... Assurément, toutes ces rumeurs ne font qu'alimenter l'ambiance déjà présente dans l'album, ce qui le rend davantage appréciable et fascinant. Personnellement, cela fait des mois que je l'écoute et à chaque fois, lors de mes fantasmes et diverses divagations, je réussis à percer un mystère sur la vie de Lewis (Je crois d'ailleurs qu'il est le fils caché de David Lynch et Angelo Badalamenti, mais chut hein). Un objet inépuisable que je vous pousse à écouter !


MAJ : Lewis dans toute sa splendeur : http://www.obscuresound.com/wp-content/uploads/lewis-romantic-times.jpg

Arlaim
10
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Créée

le 7 août 2014

Modifiée

le 7 août 2014

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Arlaim

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