A chacun sa manière de vivre sa crise de la trentaine, en ce qui concerne Isha, ça s'est traduit par une complète table rase sur son début de sa carrière. Malgré le fait qu'il ne cache pas sa dalle digne d'un rookie revenu du fin fond de la draft, il ne faut pourtant pas plus de quelques lignes pour sentir les heures qu'il a passé à frapper des quartiers de viandes dans les sous-sols de Bruxelles : ça cogne dur, c'est précis et sans fioriture.



J'fais d'la musique pour raisons médicales / C'est pas moi, c'est
ma plume qui m'raconte des images



A noter qu'au passage, il a abandonné son ancien blaze un peu pété de Psmaker pour se faire appeler par son prénom. Tout un symbole. Le morceau d'ouverture est une sorte d'autobiographie disparate qui le met complètement à nu, n'hésitant pas à jeter un regard cru sur ses déviances, manière détournée d'assassiner le personnage qu'il a pu incarner. Mature, sûr de lui, et délesté de son armure, il peut commencer à empiler sereinement les instantanés comme des macchabées sortis du placard. L'auditeur lui, devant la puissance, la simplicité et l'évidente authenticité de ce dont il est le témoin, ne peut que déposer les armes.



A 18 j'perds mon père, a-t-il atteint le Nirvana ? / Prêt pour un
sommeil éternel, papa est mort en pyjama



Après un truc comme ça, même quand le mec t'explique à quel point c'est chiant de devoir traîner cinq ou six cadavres dans le métro, bah ça pue le vécu. Ou inversement, et c'est là que ça devient extraordinaire, la moindre connerie du quotidien prend une autre dimension car il va toujours y associer la métaphore qu'on a pas vu venir, ou au moins y coller l'attitude, jamais forcée, qui fait la diff. C'est trop.


Passés les quelques bangers taillés pour la scène dont l'intérêt se limite assez rapidement, puis un Salon de l'auto illuminé par JeanJass en quatre mesures et deux name-droppings, on rentre dans l'enchaînement le plus consistant de l'album. Les différentes interprétations qu'il propose sont brillantes, on passe d'une chronique sur la relation pleine de tendresse qu'il entretient avec son plan cul à une version revisitée de L'Ivrogne de Brel, ici dépouillée de toute lueur d'espoir ou semblant de dignité. La nouvelle génération de rappeurs belges, qui se démarque vraiment de la concurrence par la qualité des directions artistiques qu'elle peut emprunter, a dû beaucoup lui apporter sur ce plan là. La construction des morceaux est donc exemplaire, mais il faut attendre la dernière piste pour atteindre l'apothéose, quand il tisse une métaphore entre un frigo américain et son rapport à la réussite. Non vraiment, c'est trop.


On sent que quand il est canalisé vers la bonne direction, Isha est bien le secret le mieux gardé de Bruxelles, la pépite N'Golo Kantesque qui n'a besoin que de l'étincelle et du bon entourage pour exploiter son énorme potentiel. En espérant qu'on le retrouve d'ici peu de temps confisquer tous les ballons de la Premier League rapologique.

Yanga
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le 13 mai 2017

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Yanga

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