Lasting Weep c'est Maneige aussi...Et c'est totalement flyé, construit et envoûtant

J'étais à ce spectacle complètement fou à la Bibliothèque Nationale du Québec, alors qu'elle était sur la mythique Rue Saint-Denis. On ne peut rendre compte d'un tel spectacle, de sa charge émotive, de ses splendeurs et de ce qu'il représente dans l'histoire musicale du Québec. Aussi important que la prestation de l'Infonie soit à la nuit de la poésie ou ailleurs. Par son esprit, les années 70 étaient encore en feu au Québec à cette époque. Les conneries punk Montréalaises (qui n'avaient que peu de sens dans le contexte Québécois) n'ayant pas encore étendues leurs prétentions, ces dernières bien plus grandes que celles du prog. Le prog volait encore haut au Québec!
Ce concert fut un “one shot deal” (3 soirs) jamais repris à Montréal à ma connaissance ou ailleurs.


Une orgie de visuel, alors que les musiciens entraient en scène avec des carrousels de torches qu'ils faisaient tournoyer au-dessus de nos têtes. Un Duguay complètement fou, des instruments et des musiciens partout... C'est Lasting Weep et le premier Maneige réunis. Le Maneige dominé par les compositions de Jérôme Langlois qui partira après les Porches. Il faut y plonger, l'oreille grande ouverte.


On passe par toutes les splendeurs et les explorations, les beautés marines, voire des ritournelles de petits bateaux superbes...Après tout nous sommes dans l'adaptation musicale de "The Rime of the Ancient Mariner" de Samuel Taylor Coleridge. Et c'est aussi dirigé par Jérôme Langlois, j'insiste, qui avait imprimé sa marque au deux premiers Maneige, de façon magistrale.


Mais ici la démesure musicale atteint un sommet: 14 musiciens pour servir l'œuvre c'est du monde à la messe ! Certains ne rejoueront d'ailleurs pas avec Maneige...ici appelé Lasting Weep...On ne sait pas trop d'ailleurs pourquoi, alors que Maneige existait, le nom ancien de Lasting Weep fut repris pour ce concert publié en CD en 2020? (il était temps d'ailleurs).


Pour en revenir à la musique, le premier solo de trompette de Duguay autour de 14 minutes est encore une fois magique ! D'une sensualité presqu'orientale, on succombe à sa magie. Il est vraiment dommage que Duguay n'est pas joué plus souvent avec Maneige! Il trouve en ce band un espace et un ton musical qu'il ne retrouvera jamais... 4 minutes plus tard , sa voix s'élève encore une fois étonnante, parfois à la limite, toujours fascinante. Duguay explore ici au Québec la voix comme Robert Wyatt , Peter Hammill le firent en Angleterre à la même époque.


Nous plongeons dans l'œuvre lyrique à la fois obscure et claire ensorcelés et conquis!


Cette première partie culmine avec Duguay et la Mort de l'Albatros.


Puis Le Voyage se transforme comme l'indique le titre de la chanson éponyme. Un moment plus joyeux avant La Malédiction. On y entend une flute omniprésente, aérienne et des sonorités qui passent du Jethro Tull à la trompette étonnante et encore une fois imposante de Duguay. Quelque part entre l'Infonie et le colossal Centipède de Fripp! Il faut noter l'orgie des percussions, drums, tout au long de l'album et la réinvention constante de ceux qui tapent ! Aussi imaginatif que Jamie Muir et Bill Bruford du Crimson. Non le Québec n'a rien a envié à ces super-musiciens.


Et puis il y a toujours le piano inspiré de Jérôme Langlois qui revient inlassablement. Doux romantique, saccadé, il est le cordon ombilical, l'ancre du navire musical de l'œuvre qui aurait pu facilement sombré dans un chaos exploratoire. Le tout est ramené d'une main de fer vers le tumulte et la quiétude de cette mer musicale. C'est bien connu un voyage se transforme toujours en quelque chose d'inattendu.


Ledit piano annonce La Malédiction qui s'ouvre sur un vent lancinant et des percussions intrigantes. Le bateau se prépare à entrer dans une caverne inconnue. C'est très cinématographique comme morceau et les images qui nous montent en tête ont parfois la pulsion des films noirs. Avec ses 5 percussionnistes le morceau n'a rien a envié au nouveau King Crimson de 2020. La démesure va inévitablement jusqu'à des solos qui , heureusement, ne s'étirent pas trop. Ceux-ci nous mènent au morceau Jelly Beans , quel titre! on croirait voir les boules-bonbons dansées dès l'ouverture. La guitare électrique sur le piano en cascades forment une fusion étonnante, la flute survole le tout allégrement. Étonnant ! Et si parfois les dissonances “Stauckausiennnes” font dériver le morceau , ceux-ci ne sont que soumises au délire de l'œuvre et jamais ne deviennent exhibitions cérébrales endormantes!


On arrive à l'espagnol One By One By One By One complètement hypnotisé par l'œuvre. Après la légère accalmie musicale précédente, le piano revient en force, la musicalité atteint une force sublime. On pense un peu à Beethoven par moments qui aurait couché avec Ravel et se serait finalement endormi avec un groupe de la West Coast Américaine (ce chant anglais) pendant que la flute libre reprend ses envols.. En arrière plan Duguay fait des vocalises à la Wyatt , les percussions s'envolent aussi haut que la flute. On est subjugué par la richesse de la musique et des amalgames divers ! Chants ,trompettes, climax! colossal !


Et voici venir la sublime chanson de l'oiseau des îles.Le thème dès les premières notes nous cloue sur notre siège. La voix de Raoul est si pénétrante, si souffrante et lumineuse (amalgame si difficile à réussir) qu'on sent les larmes nous monter aux yeux. Le cœur s'ouvre comme un ciel immense, le soleil pond un œuf sur la mer, et effectivement on entend la voix lactée....Cette chanson , mon meilleur ami rêva de la réentendre pendant des années, après le concert, il fut exaucé quelques mois avant de mourir. On a pleuré ensemble...comme si le temps s'était arrêté avant le couperet final....Maintenant à chaque fois que je veux être avec lui j'écoute inlassablement, et mes larmes coulent car ce morceau est un des plus lumineux jamais écrit au Québec. !


Et le band se déchaîne dans une finale survolée encore une fois par la trompette divine de Duguay! Ouf!


Ce soleil est un œuf ! Et vous mangerez ici des nourritures que vous n'avez jamais dégustée et ce sur des mers inconnues avec des musiciens sortis des cavernes de Poséidon! Quel plus beau voyage au large peut-on demander ?

RockNadir
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le 25 juil. 2020

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