Les Oiseaux
7.4
Les Oiseaux

Album de Têtes Raides (1992)

C'est comme pousser la porte grinçante d'un bar quelconque. A l'intérieur tout semble en place.
Les bouteilles de Ricard rutilantes comme des Cadillacs neuves et les quilles de Suze poussiéreuses comme le dessus du frigo de ta grand mère.
Les verres à demis bien alignés près de la tireuse à bibine, prêts à être dégainés pour étancher la soif du voyageur égaré. Le zinc de marbre aussi lisse qu'un cul de bébé et aussi collant qu'un ancien copain de lycée croisé au supermarché du coin.
Des cafés noirs engloutis à la vitesse de la lumière par de jeunes cadres dynamiques trop bien peignés; des diabolos menthe vert profond bus à la paille par la bouche encore innocente de collégiennes souriantes et légères.
Des ballons de rouge soulevés par quelques nouveaux retraités se cherchant une nouvelle activité après quarante piges de travaux forcés; des ballons de blanc qui tanguent comme des chaluts en pleine tempête où se perdent les regards fatigués de chômeurs solitaires.
Tout est comme d'habitude. Les vitres sont cradingues, poisseuses et les murs des chiottes tapissés d'insultes rigolotes ou de maximes philosophiques.
De prime abord tout est pareil. Pourtant quelque chose a changé. Le pastague est toujours aussi jaune mais le goût est différent, les cacahuètes sont plus salées qu'à l'accoutumée et le chemisier de la patronne est un peu plus échancré que la dernière fois.


La sensation de pénétrer dans un lieu que l'on connait par coeur. Un lieu dont les automatismes semblent gravés dans le marbre des traditions ancestrales et qui offrirait du jour au lendemain des perspectives de changement, des ouvertures inédites dans le folklore immuable.
C'est ce bistrot éternel qui se fissure, ce morceau de France sous verre que l'on a l'impression de visiter quand l'on entre dans le monde des Têtes Raides.


Tout est là pourtant. L'accordéon qui pleure au loin dans le brouhaha d'une vie difficile, une voix qui gueule, qui roule les "r", qui racle le caniveau pour trouver de l'or et qui ne trouve que de la boue. De la Java et du flonflon, de la guinguette et du vin blanc, du rire et des larmes. Tout l'attirail de la chanson réaliste Française est en place.
Vu de loin ce bistrot fait illusion. Mais en regardant de plus près on se rend compte que le patron vient de passer un coup de neuf dans son vieux troquet.
Les instruments se marchent dessus comme le tour de piste de clowns titubants perdus dans leur cirque de banlieue. Les cuivres fous viennent se mêler à la sempiternelle tradition "accordéon/Voix", donnant une patine différente, un parfum de modernité étrange et dissonant.
La chanson Réaliste laisse place au Surréalisme. Les textes ne racontent presque plus, ils montrent, ils peignent, ils sonnent. La sonorité des mots remplace le sens, le chahut musical supplée l'harmonie, la modernité traverse la tradition et lui donne des ailes.


Les Oiseaux inaugure l'âge d'or des Têtes Raides (qui durera de 1992 à 2000. Le temps de 5 albums: Des Oiseaux à Gratte poil) et une nouvelle approche de la tradition réaliste made in France.
Toute une frange de l'Alter' hexagonal (VRP, Hurlements d'Leo, La Rue Ketanou...) viendront plonger leur louche dans la grande marmite de la chanson Française traditionnelle et réaliste.
Touillant, mélangeant les ingrédients, expérimentant à tout-va, mais tout en restant dans le cadre serré et codifié du Folklore Français (un peu) et Parisien (Beaucoup).
Casquette de loulou sur le front, la nouvelle génération viendra avec respect et connaissance de son histoire filer un joli coup de jeune, une belle main au cul à la vieille Dame en Bleu-Blanc-Rouge.


...Et l’emmènera danser jusqu'au petit jour dans les baloches de sa jeunesse.


Gino ou Luna

Ze_Big_Nowhere
8
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le 3 déc. 2015

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Ze Big Nowhere

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