Totalement déçu par l'écoute du dernier Disiz – Extra-Lucide – je me décide de me remettre à mon album préféré de notre cher monsieur La Peste. Son troisième disque, Histoires Extraordinaires d'un Jeune de Banlieue, relève le pari de s'imposer après deux albums déjà bien réussis. Certes, les deux avaient des défauts, mais ils possédaient surtout une certaine fraicheur. Même Jeu de Société, pourtant très mature, est loin du son, résolument maîtrisé des Histoires Extraordinaires. Plus qu'un cap de passé, Disiz la Peste montre qu'il sait faire le son qu'il faut. Il se connait, il connaît le rap, et peut donc offrir à son public un album qui est comme il doit être : simple et puissant. Il n'y a pas ici le concours de faire le disque du siècle, de prendre des risques ou quoique ce soit. Non, simplement chaque texte est réfléchi. On sent que Disiz n'a plus rien à prouver, et c'est justement pour ça que l'album est si bon, parce qu'il s'assume pleinement comme révélant tout le talent de ce rappeur.

Pourtant, avec l'intro du disque, ce n'était pas bien parti. En effet, celle-ci est décomposé en deux parties distinctes, la première sombre et minimaliste, la seconde … heu … Ambiance boite de nuit ? Heureusement le message d'amour de Disiz à ces fans rattrape légèrement, même si ça sonne facile et que c'est pas très impressionnant. On est donc assez tendu, en se demandant « ho non, après la réussite de Jeu de Société, il va nous offrir un album naze ». Que neni, sous forme d'auto-biographie, Une Histoire Extraordinaire, le second morceau, raconte comment Disiz est devenu le grand rappeur que l'on connait. Pourtant, à aucun moment, il ne se laisse aller ni dans le misérabilisme ni dans l'égo-trip. L'exercice est complexe et particulièrement maîtrisé. Les paroles sonnent justes, ce qui est un vrai challenge vu le sujet initiale.
L'album possède ensuite la version Street Fabulous de L'Inspecteur Disiz. Single phare de l'album, ce titre raconte comment le rap gouverne la France en 2024. Ce titre est un message d'amour au Rap, aussi bien aux comparses de Disiz (Joey Starr en président de la République, MC Jean Gabin à l'opposition, Booba à l'intérieur, Diams à la culture) qu'au rap entant que tel, car Disiz, dans ce monde ne serait pas une star, mais un protecteur de la culture hip-hop. Il serait un flic qui coffrerait les faux rappeurs. Si le remix possède l'aide de Joey Starr, n'omettons pas la version originale, 15ème piste de l'album. Les deux versions sont forts sympathiques et représentent bien ce que Disiz peut faire de mieux : délirer tout en apportant un message assez sérieux (sur les faux rappeurs, que l'importance n'est pas le look mais le flow). Ce combat pour le rap game sera également présent lors de son retour avec la trilogie Lucide. Bref, ces deux morceaux sont sympas, et leurs différences sont assez fortes pour qu'on ait pas l'impression d'avoir un doublon. On en voudra même pas à Disiz dans ces choix de ministres, le but étant avant tout le fun et d'être compréhensible du grand public.

Les femmes tiennent une place de choix dans cet album. Que ça soit l'histoire tragique de Lyly, qui pousse un père à braquer des banques pour venger sa fille et qui tombe, lors de son dernier braquage, sur une guichetière qui le fait tomber amoureux, ou bien Melissa où une prostitué et Disiz tombent amoureux, poussant le jeune homme à devoir la protéger de son mac, les femmes sont mises en avant, même de manière tragique. Ce qui respire c'est à la fois le besoin d'amour, mais jamais mal mis en scènes, toujours lié à une sorte de drame (ce que je reproche à Extra-Lucide d'ailleurs : trop d'amour pur, sans rien derrière). Disiz raconte des histoires d'amours, mais jamais simples. Pour autant, leurs complexités n'ait pas une gêne et tout est bien raconté malgré qu'on puisse penser que 4 minutes ne suffisent pas à tout mettre en scène.
Deux autres morceaux parlent des femmes, Fille Facile et Miss Désillusion. La première est osée, car Disiz prend le partie (encore une fois) de défendre les femmes. Ces « putes », ces « salopes », bref ces « filles faciles » ne le sont que de l'extérieur, à l'intérieur, il y a souffrance et incompréhension. Disiz la Peste veut rappeler que les gens sont fragiles, qu'on soit gangster ou fille facile, tous ont des souffrances, et Disiz tient à nous le rappeler. Message d'autant plus beau, qu'une fois encore, il est bien réussi. Du côté de Miss Désillusion, le morceau ne m'a que moyennement séduit. Il faut dire que Miss Désillusion apparaît comme une fille facile, mais surtout manipulatrice. On pourrait donc critiquer d'aller à l'inverse de ce qui fut dit une piste juste avant.

N'allez pas pour autant croire que l'album est rempli de morceaux sérieux. Que ça soit Bo Gosse ou l'interlude avec MC Pikachou, on rigole bien. Certes, le premier peut se trouver encore comme une critique de l'apparence à tout prix, et comme critère de jugement, mais ça reste très fun. Quant à MC Pikachou, on y voit un beau clin d'oeil à l'album précédent, où le petit MC des bacs à sable était déjà présent. C'est donc à la fois fun, et en même temps révélateur du regard plein de compréhension et de gentillesse pour les enfants qui veulent se prendre pour des rappeurs gangsters. Bien agréable.
Dans les morceaux plus simples, Disiz s'offre un petit moment de critique contre tout le système avec les deux parties de Fuck You. Les médias en prennent bien pour leurs grades, tout en vantant la force de la génération actuelle, dans la partie 1. Fuck You apparaît comme plus sombre. Cette fois, justement les jeunes sont critiqués, surtout les gangs. La violence apparaît comme le constat principal d'une situation que Disiz ne peut tolérer, mais regarde, assez fataliste.
En plus de cela, on appréciera le très simple mais réussi Juste Killer, en featuring avec Humphrey. Ca un côté single, tube à sortir qu'est assez sympa et kiffant. C'est agréable, gratuit et ça met la pêche, donnant envie, comme Disiz de « juste kiffer ».
L'outro, comme l'intro, ne trouve guère grâce à mes yeux. La faute à une instru qui part un peu trop dans tous les sens à mon goût. Alors que la musique a été très bonne sur tout l'album, il fallait bien faiblir à un moment. Heureusement, les pistes bonus, dont Métisse de Yannick Noah remixé façon sauce Disiz avec le créateur original. Bien entendu, ça peut sembler facile ce message anti-raciste, mais il est juste, bon, et bien mis. Puis c'est pas comme si Disiz en avait fait trois tonnes dans cet album.

Au final, on a un album de très grande qualité. Certes, le manque de prise de risque qui amène peu de surprise peut parfois décevoir. Mais les textes sont maîtrisés, les instrus sont propres et donc on s'amuse bien. Le vrai étonnement est dans la qualité textuelle, vraiment surprenante. Du haut niveau ! On pourra regretter cependant que le flow reste peut être trop standard sans morceau particulièrement technique. Disiz la Peste aurait pu se permettre un titre juste pour cela. Finalement, les 64 minutes de l'album passent assez vite et offre l'album que je considère comme étant le meilleur du parcours artistique de Mister La Peste.
mavhoc
8
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le 18 avr. 2014

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