Les forfanteries électroniques de Doc Savage

Chapitre 3 : Lilacs & Champagne, de Lilacs & Champagne, 2012

Les lecteurs assidus de Destination Rock auront probablement noté une croissance, au sein de nos pages et depuis plusieurs mois déjà, des écrits à propos d’œuvres sorties cette année affiliées à la musique électronique . Bersarin Quartett, BADBADNOTGOOD, Sebastien Tellier, la création de la présente rubrique des forfanteries électroniques : ces initiatives éditoriales ont une raison. Bien entendu, ce n’est plus un secret pour personne, l’auteur de ces lignes est un grand amateur de mélancolies musicales. Et force est de constater qu’au fil d’incessantes pérégrinations mélodiques et éclectiques, le même sombre ukase semble s’installer dans l’esprit sensible aux dépressions du quatrième art : les musiques électroniques, hybrides ou non, ont ravi au rock ses folies meurtières, ses envies de non-envie, ses guerres à l’encontre de la lumière et du bien-être. Désormais, les rois mélancoliques ne sont plus affublés de guitares folks reluisantes, car le sceptre du genre est devenu l’ordinateur. D’aucuns y voient déjà une régression dans l’humanité, la sincérité des ouvrages proposés, tandis qu’en réalité, il ne s’agit là que d’une nouvelle manière pour exploiter ses sentiments musicaux. Après tout, mélancolie, qu’elle soit provoquée par le crissement des doigts sur le manche d’une guitare, de même que par le chant rauque et glauque d’un poète dépressif, ou bien par une machine sans âme ni cœur, reste mélancolie. Ainsi, il est temps d’évoquer celui qui, ces derniers temps, a démontré aux mélomanes avertis qu’il maniait les trois avec brio : Emil Amos, de Grails, puis OM, puis Lilacs & Champagne (et actuellement tout à la fois).

Ce dernier projet naît des envies collaboratives entre deux des membres les plus influents du groupe instrumental littéralement nommé Graal. Ainsi, Alex Hall (guitariste) et Emil Amos (batteur) se retrouvent au cours de l’année 2011 pour trifouiller les consoles de sample et concocter un nouvel album de Grails, sans l’ensemble de Grails, mais avec le talent de Grails. Les premiers retentissements de trompettes visiblement tirées de vielleries cinématographiques des années 50/60 annoncent le western musical lancé avec ce premier album éponyme. Toujours, que ce soit au sein de son projet principal ou d’OM, Emil Amos a privilégié l’ambiance au péril des mélodies. En grand amateur de musique byzantine, classique et de bandes-originales (voire de bruitages) de films ésotériques, il parsème ses créations d’échantillons choisis de ces influences, en créant ce qui a fait son style. Décrire ce dernier au sein de Lilacs & Champagne relève de l’impossibilité la plus stricte, tant il est singulier et peu familier pour l’auditeur peu aventureux. L’on pourrait émettre une tentative en ces termes : patchwork d’influences issues d’un trip-hop dépressif, d’un post-rock mélodique, de musique orientale et de bandes-originales vraisemblablement tirées de films d’horreur ; en réalité cette description apparaît fort réductrice, même si sur les simples faits, elle est dans le vrai. Emil Amos et Alex Hall, à travers cette fantasmagorie innommable de leur création, abordent l'expérience auditive avec malice et savoir-faire. Malice, au détour de chaque variation harmonique, de chaque changement mélodique, de chaque mise en scène atmosphérique. L’ombre de Grails plane, l’auditeur aussi. De savoir-faire, il en fallait pour mettre à profit cette malice malsaine. Il est d’ailleurs surprenant de constater à quel point, lorsque le travail est bien effectué, l’on peut se laisser embrigader dans diverses ambiances, parfois totalement contadictoires, en l’espace de minuscules secondes. « Listener X » clôture l’album de cette manière, emplie de grâce et de majesté. Tout est dans ce titre : des arrangements orientaux aux orgues malsains, en passant par les battements de cœur percussifs, sans oublier les retentissements épiques des trompettes samplées, l’ensemble vire au dangereux melting-pot d’influences diverses et infinies. Pourtant, les deux compères maintiennent, allez deviner par quel subterfuge, une grande cohérence, ce pas seulement sur ce titre mais sur l’intégralité de la galette. L’ouvrage, quelques secondes après s’être tu, laisse place à une éternité de silence libérateur, comme si aucun son, pas même son propre souffle, n’était digne de remplacer les 36 minutes de grâce s’étant écoulées.
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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Benoit Baylé

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