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4.7
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Album de David Guetta (2014)

Je n'arrive pas à croire tout ce que j'ai fait par amour

Un jour à la Fnac, je déambulais et errais dans les rayons, reniflant tout comme d'habitude, lorsque je me retrouvai face au visage triste de David Guetta, cheveux longs, barbe négligée, sur une photo en noir et blanc et cette injonction qui ne pouvait pas me laisser indifférent : Listen, écoute.
J'aurais pu lui dire que ça ne m'intéressait pas, que je n'avais pas l'habitude de prendre de drogues dures, que ce n'était pas ma came, mais il avait le regard d'un homme qui venait d'en baver. C'était limite s'il ne me tendait pas lui-même les écouteurs.
Cette photo me touchait, elle me renvoyait à ma propre situation. Je sortais d'une énième rupture du cerveau suite aux interminables et absurdes déchirements passionnels avec cette couleuvre que j'aimais de façon irraisonnée. Tout ce qu'on est prêt à faire pour quelques moments d'intenses extases... bref cela m'intriguait et je me mis à l'écouter.


Il figurait un nombre impressionnant de featuring, et je compris vite que c'était les chansons d'une personne qui s'était faite larguée. J'avais appris je ne sais où que le couple Guetta n'était plus, et je pouvais comprendre que cet album pouvait directement s'adresser à elle, sous-entendant :
"Ecoute, je ne fais pas que de la merde",
plus trivialement "écoute, j'ai des sentiments et des Pépitos à la maison, reviens"
ou plus simplement "écoute mes chansons, j'ai quelque chose à te dire".
Et en effet, ce sera mon approche d'écoute.
Des chansons.



Modus operandi



Je m'aperçois après cinq, six titres que l'album expose systématiquement le matériau d'origine, les couplet-refrains centrés sur le chant, puis passe en mode bourrin, ou en mode Guetta, à ta convenance. Il a réussi à s'entourer de personnes qui savent écrire des thèmes mélodiques, et qui en plus sont de bons chanteurs. On pourrait dire qu'il utilise les qualités de chacun, et qu'on se surprend par moments à découvrir des arrangements classieux de cordes comme dans "Yesterday", "Listen" ou en fin de "Lift me up", même si on n'échappera pas au rouleau compresseur de l'artillerie dancefloor, avec tous ses travers et ses sons de synthés balancés comme si tu te prenais des seaux de peinture en pleine figure. Tu nages en pleine soirée mousse 3D, et prépare-toi au concours de T-shirt mouillé, mais pas seulement...Cet album s'apparente ainsi davantage à des collaborations, où chacun amène son propre univers, et où Guetta y rajoute sa touche. Basiquement, cet album fonctionne comme ça.



Catégorie : dance music



Je dois quand même préciser ceci : il faut savoir dans quelle catégorie on boxe lorsqu'on chronique un album. C'est de la dance music, avec ses propres codes.
Je dois te dire aussi que je suis un ovni : j'ai travaillé en discothèque, en même temps que je faisais de la radio à défendre des artistes vraiment obscurs. J'ai certes beaucoup souffert, des nuits entières passées avec des gens bourrés, entre vomi et vide sidéral, mais je suis en mesure de comprendre cette culture. Elle ne supporte pas le low-fi, elle doit répondre à des signaux forts, des sons efficaces, parfois novateurs je t'assure, et elle est faîte pour danser. Elle répond principalement à des éléments physiques. C'est une musique physique.



Listen



Pour en revenir à "Listen", première surprise, je note que cet album contient un paradoxe : il n'est pas entièrement dansable, ou précisément, il n'est pas complètement bourrin. Puis je me suis concentré sur les paroles, qui me renvoyaient directement à des sentiments personnels :
"It's dangerous, I want to do it again"/ cette relation est toxique mais j'y retourne ; "it hurts but I remember every scar", "I can't believe what I did for love"/ moi non plus, je n'arrive pas à croire tout ce que j'ai fait par amour ; "No money no love"/ t'es dans la dèche, les ennuis commencent dans ton couple; "Goodbye friend, enough is enough"/ allez ciao trop c'est trop... et enfin "Lift me up, don't hold me down, I don't want to be down, don't bring me down", qui est une merveilleuse imploration que j'adressais aussi secrètement et mentalement à l'objet de mes tourments, là, un casque sur les oreilles, en pleine déconfiture affective.


Puis vint le thème central de cet album : Listen.



All we got to do is...listen
Tout ce que nous avons à faire est d'écouter.



Cela ne concerne pas uniquement la musique. Cela nous concerne tous. Nous n'écoutons plus les autres. Nous ne nous écoutons plus.
Où en serions-nous si nous nous écoutions vraiment, nous, notre couple, nos enfants, l'autre, les parents, les amis, les animaux, la planète, les étoiles, bref l'univers ? Où en serions-nous si on se mettait à écouter ce qui nous relie tous vraiment. As-tu déjà assisté à une symphonie d'étoiles à deux heures du mat' dans une nuit complètement noire, seul, sans un bruit ? C'est aussi ça écouter, avec tout son être en somme.


Je remarque aussi la tonalité globale de l'album en mode mineur. J'aime bien cette dualité. C'est souvent une danse triste, une danse pour oublier, une danse pour lâcher toutes ses frustrations. La vie, quoi.



I can't believe what I did for love



Je voudrais m'attarder sur ce deuxième titre de l'album "What I did for love".
Ce titre a une longue exposition sans rythme, avec un couplet chanté par Emeli Sandé, puis une variante du couplet qui nous amène au refrain "I can't believe what I did for love" , le tout durant 1 minute 30 (sur une chanson de 3' 26) !
Puis arrive le thème de David Guetta en contrepoint mélodique au piano avec chœurs comme un Gospel que n'aurait pas renié Ray Charles ou Stevie Wonder. Cela frise la frénésie, l'exaltation quasi religieuse, tout ce qu'on fait par amour, ce qui personnellement me touche car cela vient justement mettre le doigt sur nos contradictions : oui, j'ai été dupé, trahi, bafoué, harcelé, j'en ai perdu tous mes propres repères jusqu'à renier les dernières traces de fierté, j'en ai bavé comme un con, oui, j'ai fait tout ça, je l'ai fait par amour, et c'est de la folie.


Du coup j'ai acheté l'album, à ma propre surprise et je m'en suis saoulé comme on prend une bouteille de Pastis pour abrutir ses souffrances et je me suis lâché comme un être maudit extirpant tout ce pus qui m'envenimait.


Voilà, je t'ai filé quelques clés d'écoute, on ne peut pas tout apprécier, mais on ne doit jamais haïr l'autre...hein... l'empathie, voilà comment je suis rentré en contact avec l'univers de Guetta, ce que je vivais à ce moment eut une resonance avec ce que lui vivait. C'est ce qu'on sait le mieux faire, nous autres humains : partager nos souffrances, pour peut-être commencer à s'écouter...


Titres : "What I did for love", "Lift me up", "Listen"


et bien sûr, 7/10 dans la catégorie dance music...

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le 28 août 2018

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