Louder Than Love
6.8
Louder Than Love

Album de Soundgarden (1989)

Mal foutu, approximatif, je-m’en-foutiste… C’est quand même rigolo de replonger dans les premières parutions du grunge, tant elles n’avaient rien pour justifier l’énorme succès commercial survenu brutalement au début des années 1990 et qui a sévèrement chamboulé le paysage musical de cette période. Ce genre ringardisait le heavy et le glam metal au point d’avoir provoqué une des plus féroces guerres de chapelles qu’il y ait eu depuis la supplantation du rock progressif face au punk.


Pourtant, cette opposition entre le clan des metalleux et les amateurs d’alternatif était étrange avec le recul. S’il y avait bien quelques bandes plus punks que d’autres (Nirvana et Mudhoney) dans cet énorme fourre-tout, le grunge restait principalement attaché à une certaine idée du metal et du hard rock. Plus particulièrement celui qui privilégie les riffs assommants et les atmosphères fumeuses. Le metal et le grunge, c’était deux faces d’une même pièce. Le rock de Seattle étant finalement aussi varié que la grande famille des cheveux longs et des bracelets à clous. Alice in Chains mettait du glam et de la pop dans son heavy metal. Pearl Jam était attaché à un hard rock épique à la sensibilité folk proche d’un Neil Young. Quant à Soundgarden, il perfectionnait leur recette d’un metal écrasant et psychédélique dès leur second album : Louder Than Love.


"Plus fort que l’amour"… Rien que l’intitulé fait comprendre à quel point ce groupe est ambigu. Féroce et noir d’accord, mais pas non plus dénué d’un certain sens de l’humour qui a probablement échappé à beaucoup. « Big Dumb Sex », c’est le bruit d’un pet résonnant dans une salle de cinéma en pleine projection d’un film d’horreur. Sacrément incongru entre ces brûlots de stoner metal noir et chantés à l’arrache (Chris Cornell hurle à s’en rompre les cordes vocales au point d’être à moitié faux par instant). Une façon de marquer sa différence avec la scène metal qui se prend sans doute trop au sérieux à leur goût. Cependant, ce titre n'en reste pas moins un tube potentiel car aussi débile et accrocheur que les meilleures chansons du glam metal ! Quelle ironie. Idem pour « Full on Kevin's Mom », un autre résidu de l’époque Ultramega OK.


D’ailleurs, le quatuor ne change pas sa ligne de conduite d’un iota. S’ils se lâchent volontiers sur les plages citées précédemment (mais en évitant de se complaindre dans des interludes de mauvais goût comme avant), ils améliorent sensiblement leur recette de base. Du hard rock tourné vers la mixité et joué à la façon d’un doom metal sous psychotropes. « Hands All Over » est, à ce titre, un des plus grandioses moments de leur carrière avec ses riffs, tour à tour, puissants et insidieux. Ces harmonies de guitares étranges et néanmoins si évidentes, on les doit évidemment à ce magicien de la guitare qu'est Kim Thayil (les introductions de «I Awake » et « Get on the Snake » ou encore ce déferlement de riffs quasi post-rock sur « Ugly Truth »). Souvent là pour contrebalancer les accords bruts de Cornell et apporter un chouia de surprise dans cette musique qui ne lésine pas question lourdeur (rien que le bien nommé « Gun » devrait mettre tout le monde d’accord). Quitte à taquiner avec la dissonance à l’instar du stupéfiant « No Wrong No Right ».


Louder Than Love n’est pas non plus un grand disque. Plus une très bonne sortie dont on pardonne un peu les défauts de jeunesse. Cette production brumeuse déjà. Elle a ses adeptes mais elle renforce cette sensation que Soundgarden n’est encore qu’un second couteau avec beaucoup de potentiel. Sans oublier une homogénéité sonore qui ne rend pas l’album facile à avaler pour les néophytes.


Toutefois, cela reste une des œuvres les plus abouties des débuts du grunge tout en étant une des premières à paraitre sur une major. Une précision qui a son importance tant Soundgarden fut une formation marquante pour le jeune Kurt Cobain (ce dernier n’ayant jamais caché son admiration pour Chris Cornell). Cet acte le poussera à signer avec Geffen pour sortir son usine à tubes que tout le monde connait. Hélas, Soundgarden a beau être en avance sur le troupeau au point d’être cité comme une influence, il est encore loin de truster les hauts des charts. Cela n’empêche pas qu’il soit sur le point de composer l’un des plus grands disques de rock plombé à venir.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
7
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le 23 févr. 2016

Critique lue 393 fois

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Seijitsu

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