Mystic Braves
7.6
Mystic Braves

Album de Mystic Braves (2013)

Il y a de cela quelques temps, quelques années, un ami constamment posté sur une tour de guet disposée à l'orée de la toile, à l'affut des nouveautés en matière de rock garage psychédélique indépendant, m'a fait part de l'existence des Blackfeet Braves en même temps que celle des Growlers. Tandis que ces derniers venaient de sortir "Hot Tropics", on ne pouvait écouter des premiers qu'une belle collection de chansons enregistrées avec les moyens du bord et mises en ligne sur leur page bandcamp.
Ce ramassis de démos était un joli petit trésor qui s'enrichissait au fil des mois de nouveaux petits bijoux. On y trouvait alors "Cloud Nine", "Mystic Rabbit", "Trippin' Like I Do", "Open Up Your Heart" et "High and Dry", qui figurent toutes - réenregistrées - sur l'album dont il est ici question.
La qualité de ces démos était telle que le groupe bénéficia vite d'une certaine popularité auprès du cercle restreint d'initiés et d'amateurs du genre. Nous fûmes alors quelques uns à attendre comme le messie la sortie d'un éventuel album, en nous contentant pour lors de ces démos avec une impatience plus ou moins contenue.
Tandis que l'attention consacrée à ce groupe commença à s'estomper, voilà qu'il fut jeté dans l'âtre de notre engouement une belle bûche de chêne qui vint enhardir les braises et entretenir le foyer.
Enfin... la sortie d'un album fut annoncée et la page bandcamp du groupe fut ornée d'une nouvelle pochette avec neuf titres fraîchement enregistrés lors de janvier MMXII. Douze titres en tout, chiffre apostolique, que l'on pouvait alors librement télécharger tout comme l'intégralité de la démo.
La parution du véritable album - en format vinyle donc - fut repoussée par des fâcheux détails et des histoires grotesques.
Un petit label californien, Lolipop Records, qui a acquis depuis lors une plus grande notoriété, s'était chargé de sortir le Long Jeu en automne MMXII, mais le pressage fut interrompu et repoussé à cause des menaces procédurières du guitariste de Lynyrd Skynyrd.
Celui-ci considérait que le nom du groupe ressemblait trop à celui de son projet personnel de rock à papa ringard du moment : Blackfoot. Une syllabe en commun et Dieu merci pas d'avantage, le groupe dût donc changer son nom, non sans dépit, en Mystic Braves.
L'album sortit au début de l'année MMXIII et nous le reçûmes entre nos mains moites d'émotion au Printemps.

Une présentation du groupe s'impose d'abord, puisqu'il n'est hélas guère connu.
Les Blackfeet... pardon les Mystic Braves sont donc quatre loustics saturés d'influences sixtises ; mais que les Growlers décrivirent comme des gamins qui squattaient leurs concerts (propos rapportés) ; ils ne sont donc pas rétifs aux (excellentes) influences contemporaines.
Nul doute que ce groupe est un fruit de la vague beach goth, mais ils sont - à l'instar des Allah-Las - surtout portés sur l'esthétique et la musique des années MCMLX.
Tous les quatre sont de bons musiciens, les deux guitaristes s'échangent avec complicité les phases rythmiques et les phrasés mélodiques, comme sur "Mystic Rabbit", où un solo d'une guitare succède à celui d'une autre.
Le chant est lui aussi partagé entre l'un des guitaristes et le bassiste. La voix de ce dernier se distingue de l'autre par un timbre plus grave et nasillard. Nous l'entendons sur "Mystic Rabbit", "Open Up Your Heart", "Cloud 9", "Vicious Cycle" et "High n' Dry" (mine de rien il se paie les meilleures pistes le saligaud).
La section rythmique offre un jeu sobre et délicat, qui met en valeur le son des guitares - délicieusement claires, riches en aigus et en réverbération - par lesquelles s'exprime l'âme du groupe.
L'une d'elle est souvent agrémentée d'un trémolo de bon aloi, tout cela sent le bon ampli fender (série "reverb") bien cristallin.
Le chant est aussi nourri d'une bonne dose de réverbe, sans pour autant que l'on puisse dire qu'il s'agit là d'un palliatif (comme c'est le cas pour beaucoup d'autres groupes), puisqu'il est juste quoique parfois un tantinet faiblard, mais plutôt d'un parti pris stylistique.
Le dosage est peut-être maladroit, ce qui est pardonnable pour un premier album.
La version digitale de l'album (comment peut-on qualifier quelque chose que l'on ne peut toucher de « digital » ? Ce que la langue moderne est ridicule !) contient trois titres supplémentaires par rapport à la version vinyle, à savoir "Please Let Me Know" (version réenregistrée et raccourcie de "Please Let Me Know / Dirty Ole Doc", présente dans les démos), "Dockweiler" et "Hanging 'Round".
Les deux premières parurent quelques temps après la sortie de l'album sur un disque 7 pouces, tandis que "Hanging 'Round" demeurera une version inédite, réservée hélas exclusivement au format numérique.
Elles semblent toutes issues de la même session d'enregistrement que les neuf autres pistes présentes sur le Long Jeu.
Est-ce mesquin de ne les avoir pas incluses parmi les autres morceaux de l'album ?
Est-ce que cela eût différé d'avantage la parution du disque ?
Est-ce que l'insertion de trois pistes supplémentaires entre les neuf autres en auraient compressé les sillons au point d'appauvrir considérablement la qualité sonore de l'ensemble ?
Peut-être, mais difficile de ne pas déplorer leur absence sur l'album, ce sont tout de même de bien belles chansons, bien qu'elles n'eussent pas figuré parmi les meilleures de l'album.
S'il s'est avéré nécessaire d'exclure trois pistes du Long Jeu, le choix fut sage.
Et si l'on ne peut du coup pas reprocher au disque de manquer de concision, on ne peut pas non plus le taxer d'avarice : une bonne partie des chansons contient des envolées instrumentales, des montées, des accélérations etc. en queue de piste, ce qui confère à celles-ci une durée de plus de quatre minutes, ce qui est généreux dans cette discipline musicale.
Les Mystic Braves ne sont pas des inconditionnels du format de chanson garage pop bateau en trois minutes, et cependant leurs chansons n'en souffrent pas, elles ne paraissent jamais redondantes ou longuettes, mais conservent au contraire leur fraîcheur, elles semblent construites avec ingénuité et ingéniosité. Le dosage entre la spontanéité et la complexité est parfait.
Car ces ponts, bien amenés et efficaces, sont le leitmotiv du disque.
On trouve une accélération sur "Cloud 9" et "Vicious Cycle" : le rythme initial est nonchalant, après s'être emballé au grand galop il retrouve bientôt le pas.
Rares sont ceux qui parmi leurs concurrents maîtrisent aussi bien l'art de ces envolées instrumentales. On peut sans-doute leur opposer l'accélération finale de "The Size Meets The Sound" de Woods, qui est le tube de l'année MMXII.
Il est difficile d'établir une liste des meilleurs morceaux du disque car celle-ci comprendrait plus de la moitié des titres. Aucun n'est mauvais. J'éprouve peut-être un plaisir plus modéré à écouter "Strange Lovers" dont la modulation ne me convainc guère.
Les chansons déjà connues de ceux qui écoutèrent les démos sont convenablement revisitées et soignées en ce qui concerne "Trippin' Like I Do", "Cloud 9" et "Mystic Rabbit", peut-être manquent-elles un peu de folie comparément à leurs anciennes et primitives versions. En écoutant les démos, on avait déjà vu en elles les grandes et belles chansons qu'elles sont maintenant, tout leur potentiel était ainsi dévoilé.
En revanche, c'est une véritable métamorphose pour "Open Up Your Heart", superbe balade de mariachi anglophone, et surtout "High n' Dry", magnifique complainte qui clôt l'album avec grâce. Elle qui jusqu'alors n'attirait guère l'attention s'est révélée être l'une des plus belles de leur répertoire. Peu ou prou de gens avaient su discerner ce que ces deux chansons avaient de précieux. C'était enfoui quelque part, il suffisait d'un bon éclairage pour s'en rendre compte.
Parmi les nouveautés, la chanson qui précède "High n' Dry", est aussi une véritable perle : "Vicious Cycle" et ses deux accords Seedsiens grattés à contre-temps, son air obsédant, son accélération endiablée et son retour final à la cadence chaloupée initiale, tout cela force le respect.
Elle est pour ainsi dire basée sur le même modèle que "Cloud 9" au niveau de la structure et du procédé.
"Oh So Fine" est l'autre belle découverte du disque, sa mélodie guillerette appuyée discrètement par un orgue (ou bien est-ce ce joujou que l'on appelle omnichord ?), ses couplets épurés qui s'enrichissent peu à peu pour revenir au thème principal - qui est vraiment chouette - voilà encore une chanson habilement construite.
"Misery Loves Company" est surtout séduisante par son langoureux refrain, répété il est vrai ad nauseam, mais on finit par s'y faire : c'est la force du génie mélodique.
La musique des Mystic Braves est très inspirée, fraîche et nonchalante mais aussi subtile, délicate et élégante, ils semblent détenir deux atouts non négligeables pour la confection de bijoux pop : le chic pour trouver des mélodies et l'habileté dans l'art de la construction musicale.
Au sujet de cette dernière capacité, c'est une chose étonnante pour un jeune groupe qui sort son premier format long. Rares sont ceux qui entrent dans l'arène ce talent en main, il est habituellement le fruit d'une expérience, et ici il doit soit être présent chez nos musiciens de façon innée, soit être le résultat d'une étude stylistique poussée et assidue.
Si l'on regrette une pochette à l'esthétique imparfaite (ces affreux tons gris et cette typographie ouestèrne caricaturale) et l'absence des trois chansons qui figurent sur la version numérique du disque (la « version numérique du disque », quelle absurdité !), histoire de faire le pisse-vinaigre vétilleux - que je suis du reste - cet album trône fièrement au sommet de mon petit classement de l'année MMXIII ; il est vrai que s'il était sorti comme prévu en MMXII il n'aurait alors été que second, derrière Beyond the Bend de Woods.
Il n'en est pas moins devant White Fence, les Growlers, Ty Segall et autres grandes figures du rock indépendant contemporain.
YvesChoisy
9
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Créée

le 5 mai 2014

Modifiée

le 7 mai 2014

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YvesChoisy

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