James Ginzburg n'est autre que la moitié d’Emptyset (qu'il forme avec Paul Purgas), duo qui a violemment — euphémisme — marqué les labels Subtext Recordings et raster-noton de ses sorties. Quant à Yair Elazar Glotman, outre son album Northern Gulfs publié sous son propre nom chez Glacial Movements Records au printemps dernier, il s’est surtout fait connaître via son avatar techno KETEV et sa sortie chez Opal Tapes au début de l'année. On l’avait déjà aperçu aux côtés de Ginzburg (et son nouveau projet Bleed Turquoise), mais c’est ici dans le cadre d’une bande originale que les deux artistes se retrouvent. L'objet est édité chez Subtext, antre gérée par Paul Jebanasam, Roly Porter et James Ginzburg, ceux-là mêmes qui ont récemment publié le fracassant Andøya de Eric Holm. Et au vu de leur catalogue et du pedigree des deux artistes, la parution de cette collaboration a de quoi faire saliver.


Nimbes est avant tout une création visuelle de Joanie Lemercier, co-fondateur et ancien membre du label visuel AntiVJ, avec la particularité d’être conçu pour une projection sur dôme, c’est-à-dire sur 360°. Surplombant ainsi les spectateurs, ce rapport à l’espace est tout sauf anodin puisque son travail esquisse la genèse de notre monde, de son échelle macroscopique — l’Univers — à la nôtre. Le sentiment d'immensité propre au thème du film de Lemercier est d’ailleurs appuyé par les conditions de captation de sa bande sonore. Nimbes a été entièrement enregistré dans l'immense usine désaffectée de Kraftwerk à Berlin, où s'était tenu le festival Berlin Atonal il y a peu. Un caveau de béton démesuré, procurant aux compositions du duo toute la réverbération et la résonance nécessaires afin de mieux accompagner les fresques cosmogoniques projetées.


Au fil conducteur des visuels répondent les cordes de la contrebasse de Glotman, dont l’instrument est l’élément central des compositions du duo, sa sève. Une contrebasse dont les graves semblent par moment vouloir s’extirper du tapis de basses que crée Ginzburg et s’étirer vers le haut, telle la cime des arbres tournée vers les cieux (l’illustration). Telle un aimant, elle cristallise la création, agrège la matière par cercles concentriques et concentre les forces à l’œuvre pour dresser monts et monuments. Et lorsque retentissent les percussions martiales de Brandon Rosenbluth, la palette de graves cèdent momentanément place à un ballet de cordes frottées, plus dynamique. Un mouvement de va-et-vient majestueux, marqué de rares et douces déflagrations, et qui ponctuellement ralentit pour laisser les notes résonner dans la vaste usine, jusqu’au climax final.


Deux remixes à Nimbes sont ensuite proposés. Le premier, Yair Elazar Glotman’s Ember mix, voit le contrebassiste dénuder Nimbes de tout rythme pour n’en garder que le cœur. Les braises d’une étoile effondrée en trou noir massif, qui semble aspirer toute lumière de cette piste. Les cordes de la contrebasse sont happées, esquissent inéluctablement des circonvolutions vers ce centre, qui devient alors le lieu d’une accrétion de matière et de tension colossale. Le second remix de Eric Holm, Eric Holm’s 10/50 mix, est tout aussi délectable que son Andøya. Nimbes est malaxé au travers de son mécanisme de tectonique des plaques implacable et rincé par le souffle glacial d’Andøya, au point que l’on discerne difficilement, encore une fois, le morceau original.


De prime abord, le format de l'album pourrait en rebuter plus d’un — 3 pistes, dont la bande originale (15 min) et les deux remixes, pour une durée totale avoisinant 31 min. Pourtant, il serait dommage de se détourner de cette sortie sous ce prétexte. Embrassant le cycle de la création, Nimbes excelle à évoquer ouvrages célestes et terrestres, puis à balayer ses propres édifices. C'est aussi une remarquable addition au catalogue irréprochable de Subtext, qu'il n'est jamais trop tard d'explorer.


http://www.swqw.fr/chroniques/experimental-modern-classical/james-ginzburg-et-yair-elazar-glotman-nimbes.html

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le 10 sept. 2015

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