Nothing Feels Natural
6.7
Nothing Feels Natural

Album de Priests (2017)

Un quatuor engagé qui à la tête de son propre label, est entrain de retourner la scène de Washington

20 janvier à Washington. C’est le premier jour officiel de la présidence de Donald Trump, après une investiture en grande pompe. Le soir, à deux petits kilomètres de la Maison-Blanche, le Black Cat accueille une frange de spectateurs désabusés par le résultat de l’élection, symbole d’une Amérique fracturée.


Dans cette salle réputée, se tient une soirée pour lancer quatre années de protestation. La teuf s’appelle “No Thanks”. Sur l’affiche : “A Night of Anti-Fascist Sound Resistance in the Capital of the USA” (“une nuit au son de résistance anti-fasciste dans la capitale des États-Unis”.) Sur scène, figuraient entre autres Sadie Dupuis, la voix de Speedy Ortiz, ou Katie Crutchfield, celle de Waxahatchee. Mais les habitués ont également reconnu un groupe bien particulier, co-organisateur de l’événement : Priests. Katie Alice Greer (voix), Daniele Daniele (batterie), Taylor Mulitz (basse), et GL Jaguar (guitare), composent l’une des formations activistes les plus en vue sur la scène de Washington. Depuis plus de cinq ans, le projet s’est fait un nom grâce à des performances militantes et furieuses, mais également au travers de son propre label, Sister Polygon Records. Une structure qui regroupe une communauté d’artistes qui bouillonne dans l’underground de la capitale.


Quelques mois après l’élection de Donald Trump, c’est à l’Espace B, dans le 19ème arrondissement de Paris, que nous rencontrons le groupe. Priests est venu lâcher ses diatribes protestataires, avec un album dans ses bagages : “Nothing Feels Natural”. En pôle position parmi les révélations post-punk de l’année, ce premier long-format a un écho particulier en ce début de mandat Trumpien. Manifeste engagé et contestataire, il dénonce une société américaine devenue absurde et rage contre un monde devenu consumériste et aliéné.


Priests s’est fait connaître en 2014 avec la sortie de l’EP “Bodies and Control and Money and Power”, un brûlot no-wave puissant et chaotique qui les a propulsés sur le plateau d’un talk-show décalé. Ils y ont alors livré une prestation furieuse du titre “And Breading” tout en scandant le slogan “Black Lives Matter” – dans le contexte de l’affaire Michael Brown et des émeutes à Ferguson – avant de conclure par des douces paroles répétées avec insistance par sa chanteuse déchaînée : “Barack Obama killed something in me, and I’m gonna get him for it.” Le tout en présence des trois figures riot grrrl de Sleater-Kinney, forcément un peu retournées.


Les espoirs déçus de l’élection d’Obama, la faillite du système politique américain, autant de sujets que Priests avait la ferme intention de mettre sur la table dès ses débuts. Et devenir, en quelque sorte, le porte-parole de ceux qui “se questionnent au moment de s’endormir, ou pendant leur pause déjeuner, ou encore quand ils se sentent tristes pour des raisons qu’ils ne comprennent pas” expliquait Katie Alice Greer à l’époque. “Bodies and Control and Money and Power” a dans ce cadre été une réponse parfaite, entre fureur et incrédulité. Aujourd’hui, si la patte sonore de son groupe s’est complexifiée, la chanteuse n’a pas changé une ligne de son discours :



“Dans les textes je navigue toujours dans ce territoire, nous essayons souvent de sortir de ces boîtes et de ces genres où on veut nous mettre. Beaucoup essayent de nous mettre l’étiquette de ‘groupe politique’ mais nous pensons que c’est une catégorisation très facile. Je préfère parler d’un domaine de pensée, d’un état d’esprit dans nos paroles qui s’engagent dans des thèmes importants avec un œil critique.”



Priests continue ainsi à s’inspirer de ses nombreuses frustrations sur l’album, à l’image des morceaux joués à Paris fin mai, tels que “Pink White House”. Une chanson qui vise à déconstruire les conceptions binaires de nos sociétés, homme/femme, mais aussi gauche/droite, dans le contexte des élections américaines. Daniele, la batteuse de Priests : “Il y a officiellement quinze partis qui présentent des candidats égaux à presque chaque élection. Mais en réalité ce sont surtout deux partis qui dictent tout, ‘droite et gauche’, donc au lieu de voter pour le candidat que les gens veulent vraiment, ils sont coincés dans cet antagonisme binaire où l’on vote contre quelqu’un plutôt que pour un autre.”


Selon Priests, les leçons tirées de cette élection ne sont finalement que les symptômes d’une crise sociopolitique plus profonde de l’autre côté de l’Atlantique, et désormais ressentis à plus grande échelle :



“Tout est remis en cause, estime Katie. Comme la manière d’élire nos leaders, de déterminer en amont qui peut prétendre à être candidat ou le fait de conserver cette organisation gouvernementale très hiérarchisée. Dans le groupe, on travaille différemment : nous sommes tous les quatre égaux et impliqués ensemble dans à peu près tout. Même si les gens s’amusent à croire que je suis la meneuse puisque je chante."



“Nothing Feels Natural” joue à semer des fausses pistes. Le but ? Nous perdre dans un dédale d’influences et d’instruments (clarinette, violoncelle, mellotron ou encore saxophone) entre surf, jazz et pop. Les quatre artistes sont d’accord pour dire qu’ils ont cherché à être plus réfléchis, moins immédiats, à l’image du très funky “Suck” ou du surf-rock de “JJ”.



“L’album est sombre, maussade, parfois d’humeurs changeante”, rétorque Daniele. “Il y a toujours une fureur, mais transmise avec plus d’exubérance, avec quelque chose de plus positif, presque du plaisir.”



La batteuse prend pourtant tout le monde à contre-pied sur le long-format en écrivant et interprétant “No Big Bang”, un spoken-word sombre et déroutant qui apporte un certain contraste.


Quand elle l’a joué en face de nous à l’Espace B, le concert avait alors les airs d’une confrontation avec les spectateurs parisiens. L’idée, voire la nécessité de s’exprimer par l’affrontement vient des débuts du groupe, à l’époque où le groupe aimait se faire haïr en distribuant des doigts d’honneur au plus de monde possible. Mais surtout en ne se produisant qu’une quinzaine de minutes, par manque de chansons satisfaisantes.


A l’Espace B, la donne était évidemment bien différente, mais Priests n’a rien perdu de sa fureur. Surtout à l’égard des “connards” habituels qui peuplent les salles de concerts. Katie :



”Il y a parfois des gens, auxquels moi et le groupe devons dire ‘fuck you’ ou ‘don’t be an asshole’. Je me rappelle qu’à un show il y en avait un qui était tellement insupportable. Il sautait sur les gens dans un tout petit espace : j’en suis presque venu aux mains avec lui pour le foutre dehors.”



Priests nous promet un retour houleux – et immanquable – dans la capitale française cet automne. Une mise à jour et d’ores et déjà prévue en ce qui concerne la chanson “And Breading” : “Barack Obama killed something in me / Fuck Donald Trump and his white supremacy !”.


Via Les Inrocks

Charliiiie78
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le 17 juin 2017

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Charliiiie78

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