Paul Bley – Open, To Love – (1973)
Il y a parfois des albums que l’on rate, dont on n’entend pas trop parler, et que l’on cherche depuis assez longtemps, mais que, mince, on ne veut pas payer trop cher… On les voit, on les commande, mais ils n’arrivent jamais, direction remboursement… Alors on oublie, et on pense à autre chose, à un autre engouement… Pour moi « Open, To love » fait incontestablement partie de cette catégorie, donc il n’arriva pas bien vite, et pourtant, un jour, il franchit enfin la porte, à force d’être espéré sans doute.
Déjà les « spécialistes » du jazz, ceux que l’on respecte souvent et dont on apprécie la culture, la sagesse et le jugement, ils sont quelques-uns…. Quelques-uns donc, qui disent cette chose simple, mais d’un poids très considérable, que cet album est celui qui, le tout premier, a défini précisément, le son « révolutionnaire » du label ECM.
Cet album est tout simplement une merveille, de ceux que l’on peut qualifier de chef d’œuvre. Paul Bley y joue du piano solo. Paul Bley est une légende, je le connais assez bien et l’ai beaucoup écouté, tant en formation qu’au piano solo, mais, moi, je tournais autour, un peu comme une abeille, sans butiner la plus belle fleur, la plus parfaite…
Le son du piano est éclatant, pur, d’une clarté limpide. On s’émerveille devant cette résonance cristalline. Paul Bley est familier alors des synthés, il en aimait les effets et il a imaginé des sons, sortis du piano acoustique, qui puissent tendre vers cette illumination. Ainsi, il s’attache à ce que chaque note ait de l’ampleur, qu’elle vive et s’épanouisse, il utilise donc, pour parvenir à ses fins, la prise de son rapprochée, entrant même à l’intérieur du piano, afin de créer cette réverbération, sans que rien n’altère la justesse harmonique, piégeant l’auditeur, comme s’il était là, à quelques centimètres de l’artiste.
Mais ce n’est pas tout, car les pièces jouées sont extraordinaires. Carla Bley est son ex-épouse, elle conservera son nom, elle a toujours possédé des facultés extraordinaires pour la composition, dépassant dans ce domaine largement son ex, au moins pour la rapidité et la qualité du travail, il lui arriva de composer plusieurs pièces en une nuit pour dépanner son mari, alors à sec…
Paul n’a donc pas à aller très loin pour dénicher quelques pièces à mettre à son répertoire, ici il joue « Closer », « Ida Lupino » et « Seven » signées Carla. Rien que la version qu’il donne d’Ida Lupino est superlative, rien moins qu’extraordinaire, tout y est, les accents, la force, les silences, la retenue, le lyrisme poussé à son paroxysme, c’est assez indescriptible, juste une expérience à vivre dans la concentration de l’écoute, avec de très bonnes conditions si possible…
Mais Paul Bley possède un autre joker, encore un atout maître, car cet homme est très spécial. En effet son autre ex-épouse est Annette Peacock, elle aussi est bonne compositrice et lui offre « Open, To Love » et « Nothing Ever Was, Anyway », deux belles pièces, dont cette dernière, d’apparence simple, qui ferme l’album.
Lui-même présente deux pièces de sa propre composition, « Started » et « Harlem », les pièces les plus courtes, mais assez ambitieuses. « Harlem » est toute simple, quelques minutes seulement qui s’écoulent en enrichissant le thème. Oui, vraiment un album merveilleux, il n’est pas interdit de penser que parmi les plus grands pianistes, beaucoup sont redevables à Paul Bley, pour tout ce qu’il a mis, venant du fond de lui, à l’intérieur de ce pur joyau.