Y a aucune transition, y a aucune sommation, y a aucune vérification...

...de l'être humain dans son acte substantiel.


Dans une époque sous tension gouvernée par les canons du plaisir et de la quête du bonheur absolu, un homme décide de s'insurger et d'exposer ses frustrations à la face du monde comme l'on partagerait librement une photo de bouton d'acné ou de crise d'eczema. Cet homme, vous le connaissez probablement, mais très probablement pas. Il s'agit de Jean (aka Michel Thor, membre du groupe en devenir - je l'espère - Hystérie), jeune mélomane guitariste et chanteur qui a visiblement plus de talent qu'il veut bien le faire croire.


Vous savez, quand on critique tel ou tel artiste, ou telle ou telle oeuvre, il y a toujours des abrutis pour nous dire Ouais mais essaie de faire mieux déjà, et après on en reparle.
Bien.
Dans la quasi-totalité des cas je trouve ça idiot puisque de toute façon, on n'est pas obligé d'avoir du talent ou de l'exprimer pour être à même d'avoir un esprit critique et de livrer un avis pertinent. Cela dit, il est vrai qu'être en position de faire mieux que l'artiste critiqué, et le prouver, ne peut qu'apporter que plus de crédibilité à un avis. Et c'est là que je félicite Jean parce que dans sa "Vidéocritique de J" #5, il ne s'est pas contenté de critiquer le groupe Fauve, ses textes qui peuvent sembler ridicules, et sa musicalité souvent peu recherchée. Non, il ne s'est pas arrêté là, il a lui aussi sorti son album de spoken word.


Et fait mieux.


Bieeeen mieux.


Les adeptes de Fauve pourraient trouver la comparaison tirée par les cheveux, mais il faut avouer que les démarches respectives de Fauve et Placoplâtre sont tout de même très similaires : dans les deux cas on a un texte parlé introspectif décrivant des états d'âme, une ambiance nocturne et sombre, l'adoption d'un ton confidentiel comme si l'auditeur était un ami proche, on trouve des moments de poésie et de grâce qui contrastent avec des emportements du chanteur voire des insultes, et enfin un aspect mélodieux un peu froid et désabusé mais pas dénué d'une lueur d'espoir.


Sinon niveau lyrics, effectivement ça ne parlera pas à tout le monde. La solitude exprimée est assez poussée, ce n'est pas le genre de tristoune qu'on retrouve dans les circuits du spoken-word mainstream (genre FAUVE), où la déprime vient du fait que notre ex nous manque, ou que nos amis partent l'un après l'autre, ou que nique le blizzard. Non non, pour vous faire une idée, chez Placoplâtre on n'a jamais eu d'ex et on n'en aura jamais, on n'a jamais eu d'amis et on emmerde tout le monde de toute façon, et le blizzard non seulement on le viole, mais en plus on le brûle et on pisse allègrement sur ses cendres avant de tirer la chasse.
Bon, j'exagère un poil parce que c'est loin d'être si violent que ça, c'est d'ailleurs plutôt apaisant, quand on se met bien dans l'ambiance. Mais c'est un peu un album d'outcast, un album underground et confidentiel qui ne plaira qu'à des gens ayant été un jour confrontés à la frustration intense exprimée par le texte et la musique. Ou à l'incompréhension intense aussi, il est vrai qu'on est autant dans l'emportement contre le monde tel qu'il est que dans son déni le plus complet. Sur un fond d'absurdité apparente et au-delà de certaines phrases qui peuvent sembler assez amusantes... (MON OREILLER A PORTÉ PLAINTE POUR MOLESTATION ET J’AI GAGNÉ MON PROCÈS CAR JE CONAISSAIS DES GENS TRÈS IMPORTANTS, SI IMPORTANTS QU’ILS M’ONT APPORTÉ DES GÂTEAUX A LA PISTACHE PLAQUÉS OR. C’ÉTAIT DÉGUEULASSE.) ... eh bien malgré ces rigoleries qui, encore une fois, ne plairont pas à tout le monde, chaque phrase semble dotée d'un sens. Chaque mot, chaque phrase exprime une idée, un sentiment.
Alors qu'il aurait été facile de produire un chaos de mots sans aucun intérêt, le texte parvient à être assez absurde et sensé à la fois pour être fascinant, et profond. Autre chose que je trouve très intéressante : le texte n'a pas une fonction directe en mode "Salut, je suis le chanteur et je te raconte MA vie, MON histoire". Loiiiin de là. L'universalité et la globalité du texte permet à un peu tout le monde de s'y retrouver, de s'y identifier, ou au moins de le comprendre de façon différente.


Au niveau musical, on a des compositions un peu "bipolaires", et le meilleur exemple pour illustrer cette binarité du ton de l'album est d'ailleurs le morceau pré-sélectionné quand on entre sur la page Bandcamp de l'album (bon choix, tiens !) : le morceau QUARTIERS DE POMME FRELATÉE.
Les deux premières minutes sonnent assez noise avec un son assez... bruitiste donc, mais un bruitisme assez doux qui englobe l'oreille, avec des accords qui donnent au morceau un côté assez mélancolique et rêveur. Puis s'ensuit, sur les mêmes accords, une minute aux sonorités beaucoup plus accoustiques, et blues je dirais, et ça produit quelque chose. Au vrombissement des effets de reverb et autres joujous sonores succède un roucoulement de la guitare qui sonne tout de suite plus authentique, plus calme, le texte se calme aussi, se repose. Et il se produit quelque chose à ce moment là de l'album, un déclic qui fait se dire, merde. C'est du bruitisme, c'est un petit délire de musicien wannabe, c'est un peu un album fait pour expérimenter des trucs... mais c'est beau. C'est putain de beau.
Les trois minutes suivantes partent dans un délire complet, ça gueule n'importe quoi, ça balance les effets n'importe comment, le rythme de la chanson est laissé six pieds sous terre, et le texte s'emballe carrément... et c'est juste trippant. Enfin, les deux dernières minutes on a de nouveau les sonorités blues qui reviennent, et concluent le morceau avec une note de mélancolie et de douceur.


Et tout l'album, au fond, est un peu dans l'esprit de QUARTIERS DE POMMES. Il adopte parfois des accents de cold wave (MEDITATION est un exercice de style excellent dans le domaine) ou de post-post punk déchaîné (je ne saurais décrire l'INTRODUCTION autrement), jouant parfois du côté de la pop mélancolique, du rock bruitiste et du blues désabusé...


La voix est assez agréable à écouter, même si parfois le chanteur bafouille ou trébuche sur certains mots, mais ça semble souvent être fait exprès, ou au moins rentrer dans la cohérence de l'oeuvre. En tous cas on est loin des jérémiades superficielles de Fauve qui peuvent paraître agaçantes, ici on a un côté beaucoup plus posé, réfléchi, et pas dans du dialogue de film accéléré deux fois et raconté par une voix de chipmunk. D'ailleurs j'ai oublié de le dire en parlant du texte, mais dans la voix aussi on sent fortement l'influence du groupe Rhume et de leur LP... Rhume. LP que j'ai trouvé excellent d'ailleurs, pour les mêmes raisons que Placoplâtre, mais ce qui est intéressant ici c'est que Placoplâtre s'inspire du phrasé et du style de Rhume pour en ressortir quelque chose de beaucoup plus personnel, et lui insuffler un côté plus calme et mélancolique, véhiculant des émotions peut-être beaucoup plus premier degré et direct. Dans l'ambiance, rien à voir avec Rhume, donc.


L'album parvient à toucher de par sa sincérité et son aspect, je le répète, confidentiel. Avant de sortir de tube de l'été Commune épave et d'intégrer un groupe qui rapporte du vrai argent pour de vrai (Hystérie, dans 2 ans ils sont famous inchallah), il ne faut pas oublier que Michel Thor aka Jean a sorti tout plein de projets sur le bandcamp d'Ascèse Records, entre autres. Et malgré le fait qu'environ dix personnes dans le monde doivent en être au courant, dont deux qui auraient potentiellement tout écouté, certains trucs valent vraiment le coup d'oreille. Genre VRAIMENT.
Et le projet Placoplâtre est sans doute l'un de ceux qui méritent le plus votre attention. Si vous avez un petit coup de blues, si vous êtes dans un état de transe ultraverbale, ou s'il est tard et que vous voulez mettre une petite ambiance sympa avant d'aller vous coucher, écoutez l'album Placoplâtre !


(En plus, selon votre degré de déprime, vous pourrez faire attention aux textes ou pas, parce que j'ai remarqué quand on va bien on y est assez hermétique ou indifférent, et quand on va mal on l'écoute plus attentivement et on s'y reconnaît. L'album ne génère jamais de la déprime, en tous cas. Et ça c'est quand même très cool.)

burekuchan
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le 18 juin 2016

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