Queen
7.2
Queen

Album de Ten Walls (2017)

Il y a des fois ou l'on éprouve un plaisir coupable à apprécier des oeuvres malgré la personnalité controversée de leurs créateurs. On pense bien entendu pour la littérature à Céline, Maurice Barrès, le Marquis de Sade, et même Eric Zemmour ; au cinéma, à Roman Polanski, Emir Kusturica et Abdelatif Kechiche A ce moment-la, nous mettons de coté nos convictions personnelles pour se concentrer uniquement sur la qualité du livre ou du film, et se consacrer à l'oeuvre juste pour ce qu'elle est.


C'est un peu ce sentiment que j'éprouve à l'écoute du premier album de Ten Walls. De son vrai nom Marijus Adomaitis, l'artiste lituanien fils d'un violoniste avait déjà eu l'occasion d'exprimer durant quelques années son talent incontesté de compositeur/producteur/remixeur de musique électronique (tendance house, deep-house) sous un premier pseudonyme "Mario Basanov". Des titres riches, mélodiques, aux instrumentations variées, et toujours teintés d'une certaine mélancolie.


Puis vient 2014 et les deux bombes "Gotham" et surtout "Walking with Elephants" sous son nouveau nickname Ten Walls, deux titres taillés pour le dance-floor, de véritables hits underground (WWE a été vu plus de 30 millions de fois sur Youtube) qui auraient pu permettre au jeune prodige d'à peine 30 ans de s'assurer définitivement une place au panthéon des dancefloors et home-studio, un monde pas si ouvert ou il y a tellement plus d'aspirants que d'élus.


Cependant, tout bascule vers l'été 2015, quand Marijus publie sur son facebook des propos homophobes. Il ne s'agissait pas d'une simple maladresse ou de blagues douteuses, mais bien de pamphlets ouvertement anti-gays. Quand on connait le lien étroit qui lie la musique électronique et le milieu homosexuel il n'a pas fallu attendre longtemps pour que la côte de popularité de Marijus/Mario/Ten en prenne un coup sévère. Des langues se sont déliées, des témoignages affligeants se sont enchainés, et ses propos publiquement désavoués par l'ensemble de la house nation. Des excuses maladroites et pas très convaincantes n'auront rien changé : Ten Walls se retrouve blacklisté de tous les festivals ou il était programmé, et disparait de la circulation.


C'est presque deux ans plus tard qu'il publie ce double album (le bien ou mal nommé "Queen") de 24 titres sur son propre label Runmark. Malgré les propos pompeux du communiqué de presse, ce disque n'était pas vraiment attendu de longue date, et on peut même dire qu'il est sorti dans une quasi-indifférence.


La première chose qui frappe à l'écoute de ce LP est l'éloignement pratiquement total du dance-floors. Si on peut régulièrement reprocher à des albums electro de n'être que des maxis d'une dizaine de titres sans véritable concept ce n'est pas le cas ici. Des pistes courtes, down-tempos voir ambiantes enchainées en fondu comme un tout, teintées de piano, violons, guitares, samples de voix d'enfants, d'un son de "locomotive" qui revient régulièrement : un disque qui transpire la mélancolie et la tristesse mais aussi un certain espoir. Les titres sont évocateurs : Redemption, Power, Transition...


Le premier CD se révèle être le plus intimiste, très lent et calme excepté le "new wave" "Age Old Pain" (avec Jonatan Backelie au chant) enchaîné avec un "When Muse Return" transpirant la fureur malgré son tempo lancinant...et un peu plus tard "Age Wells" toujours avec Jonatan Backelie qui revient de nouveau réveiller un auditeur qui commençait à s'assoupir.


Le second disque est plus rythmé, plus proche de ce que l'on peut attendre d'un album "electro" contemporain. Cependant, même le triptyque "Italo, Rocky, Balboa" censé être le point d'orgue dancefloor de l'album (Rocky est sorti indépendamment en version longue) reste étrangement monotone et n'atteint pas les sommets d'un Walking With Elephants, comme si Marijus avait perdu tout espoir de faire danser un jour les foules.


Il se dégage une impression bizarre à l'écoute de cet album : les titres sont de qualité et Ten Walls est définitivement bourré de talent. Je ne peux cependant pas m'empêcher de penser que ce disque ne serait sans doute jamais sorti si Marijus n'avait pas révélé ses idées homophobes au grand jour, et il est évident qu'il a mis à contribution sa période de "chômage" pour écrire ce disque empreint d'intimité dont on ne sait finalement pas trop si il est destiné à ses auditeurs ou à lui-même...


A noter que Ten Walls recommence à tourner lentement mais surement dans les soirées et festivals. Mérite-t-il notre pardon et qu'on lui accorde une chance due à son talent de musicien ? Seul le public au final doit décider.

LaurentSFN
7
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le 3 janv. 2018

Critique lue 271 fois

LaurentSFN

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