Sleeplessness
7.9
Sleeplessness

Album de Sea Oleena (2011)

Charlotte Loseth, canadienne d'origine anglaise. C'est l'identité qui se cache sous le doux pseudo de Sea Oleena. Ayant à peine passé la vingtaine, cette artiste sait comment procurer les plus légères sensations euphoriques. Etant une compositrice/interprète de talent, elle s'occupe des arrangements alors que son frère vient se poser sur ses sons pour les améliorer grâce à l'électronique. Après son excellent album éponyme, pourtant très intimiste, Sea Oleena revient donc avec "Sleeplessness", un album original & d'une profondeur incontestable.

"Océanique" : c'est le premier mot venant à la bouche des gens à qui je fais écouter le travail de cette artiste. En effet, préservant le sens de ses paroles & privilégiant un environnement très restreint pour ses enregistrements, on peut aisément affirmer que Sea Oleena fait partie de ces très grands artistes mystérieux : peu de vidéos sont disponibles d'elle personnellement sur le net (on ne devine pas vraiment son personnage, ni sa vie familiale), & peu de chansons inédites existent. On peut trouver quelques photos/images/poèmes sur son tumblr ou autres blogs personnels, mais il n'y a que peu d'interviews, peu de concerts ont été joués, & elle n'est pas encore assez connue pour que sa vie privée soit dévoilée. Ainsi, on l'admire surtout pour ses quelques prestations lives sur Youtube (soit dans des salles publiques, soit en privé, accompagnée de son frère Luke Loseth, alias Felix Green, qui est lui aussi un génie). Petit point à part, les artistes les plus discrets sont les plus talentueux, selon moi : Stina Nordenstam ou Clutchy Hopkins, par exemple, sont deux légendes que presque personne ne connaît. Bref. Ainsi, Sea Oleena dépose ici en quelque sorte les émotions dont on se sent privé, frustré ; celles que l'artiste en elle-même ne nous permet pas de voir autrement qu'à travers sa musique intimiste & ses paroles d'un romantisme & d'une poésie grandioses. On peut entendre, parmi les effets incorporés par son frère, des gazouillis d'oiseaux, un ruisseau qui coule, etc. : tout cela est, bien entendu, enregistré dans leur propriété, ou alentours.
Parlons donc de l'album. Entrée en matière : "Southbound", chanson céleste rythmée par quelques notes de piano tintées par les choeurs multiples de Charlotte. La montée se fait très vite, avec l'apparition d'une batterie, des voix prolongées, de plus en plus aiguës. Quelques échos se font entendre, comme si on se trouvait dans un paysage enneigé & bourré de nostalgie, à en vomir de plaisir : "Yes, I'm a little bit wasted. Just like a six-string, I sing only when I'm pressured or when I'm alone with a rhythm and a reason. Heading for the season of the winter coat, heartbeat heavy as a suicide note". Puis "Sleepless Fever" nous envahit de ses quelques beats oppressants & secs, une guitare morbide, monotone, une voix automnale nous guidant vers des choeurs enchanteurs. Une sorte de métronome, nous menant vers un sommeil certain. Il est temps de dormir. Enfin, on aimerait bien, mais on ne peut pas. Un cri doux & perçant à la fois, lorsque le calme est instauré, vient nous réveiller, ça remonte, ça revient, ça nous oppresse. Puis vient "Insomnia Plague", avec sa mélodie enfantine à la guitare, facile à retenir : c'est, sur cet album, en général, la chanson préférée des gens, lors de la première écoute. La voix est très calme, apaisante, comme pour nous aider à nous endormir. Car oui, l'album a beau être très serein, il n'en reste pas moins si bon qu'on ne parviendrait pas à s'endormir. Mais disons qu'écouter cette chanson à la sortie d'une longue journée de stress, c'est libérateur. On a cette impression de flottaison, comme si on marchait sur l'océan, les yeux fermés, les cheveux au vent. Les oreilles sont chatouillées par une douceur attenante, celle de la voix si charmeuse de Sea Oleena. Ca se finit sur un ton neutre, afin d'introduire une des meilleures chansons de l'album : "Untitled". Petits sons naturels d'un bâton tapant une canette de bière vide ? Le ruissellement de l'eau à travers le bois ? Une guitare simplette & emplie d'échos ? C'est ce qui compose cette musique. Paroles enchanteresses, voix délicate, nature, tout y est : "There's a quiet conversation, a discarded invitation, a statue on the fountain, a molehill on the mountain, a river through the kitchen, we're swimming in basement now".. S'ensuit "Sister", avec une voix de plus en plus profondément ancrée dans l'intimisme, toujours cette guitare simpliste & rythmique, l'arrivée de quelques notes de piano, une mélancolie profonde. Quelques choeurs qui s'effacent derrière la voix principale. Cette douceur laisse place à la chanson phare de l'album, pourtant enregistrée d'une manière assez "sale" : "Milk". Des paroles très subjectives, une introduction faite de quelques notes de piano, puis l'intervention de Felix Green pour ajouter une touche électronique au morceau (petite guitare exotique, beats, redondance des voix, etc.). "Feel your way to the kitchen, bring the milk to the simmer [...] thin-skinned calcium sipper". On pourra remarquer, pour l'ensemble de l'album, beaucoup d'introductions, des montées, qui pourront surprendre les auditeurs, car il n'y a jamais de pic culminant, comme si l'artiste cherchait pertinemment à donner un ressenti global plus que seulement par chanson. L'album raconte toute une histoire, celle-là même de Sea Oleena : il se termine d'ailleurs par une chanson très émouvante ayant le merveilleux titre d'"Orion's Eyes". Pour simplifier la description : une guitare céleste, une voix céleste, des choeurs célestes, des paroles célestes. Un aboutissement, l'arrivée au paradis. Je ne sens plus mon âme.

En conclusion, "Sleeplessness" est donc un des albums de l'année, à posséder absolument pour les gens en manque de vacances, d'évasion spirituelle, ou désirant tout simplement entendre une jeune artiste psyché-folk dans ses débuts avant-gardistes.
A noter que son album précédent, qui est éponyme, est tout aussi bon, mais de moins bonne qualité audio & un agencement, une concordance plutôt amatrice.
Je recommande aussi énormément l'album que Sea Oleena & son frère Felix Green ont sorti en duo : le groupe s'appelle donc Holobody, & l'album est "Riverhood". Un bijou de beauté, de grandeur, d'imagination. Pour vous donner un aperçu, l'une des chansons de fin est une reprise psychédélique & ghospel du très célèbre hymne "Down to the river to pray". On peut ressentir dans cet album des influences telles que Dan Deacon, Cold War Kids, Animal Collective, The Books, Solar Bears ou encore Cocorosie.
Sea Oleena & Felix Green sont donc de jeunes talents à suivre de très très près.
Satané
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 20 déc. 2011

Critique lue 480 fois

4 j'aime

1 commentaire

Satané

Écrit par

Critique lue 480 fois

4
1

Du même critique

Utopia
Satané
4

Légère déception

Si les premiers instants de la série "Utopia" étaient surprenants & d'une authenticité indéniable, il ne lui a cependant pas fallu très longtemps pour déchanter. S'étalant sur six malheureux...

le 21 févr. 2013

51 j'aime

8

Elephant
Satané
4

Cinéma indépendant : expérimentation ou fainéantise ?

C'est ce que je me demande. Ce film est chiant. Même s'il dure à peine plus d'une heure, on s'ennuie, on est las dès le début, car chaque scène est très lente. Heureusement qu'on n'est pas devant un...

le 11 sept. 2011

41 j'aime

12

Pokémon Green
Satané
10

Ma toute première prise de drogue

"Pokemon Green" n'est pas le premier jeu-vidéo auquel j'ai joué, mais il s'agit quand même de mon initiateur au monde geek. Je suis né en 1991, & à l'époque, j'habitais dans le Pas-de-Calais. Entre...

le 30 août 2011

38 j'aime

11