Slow Focus
7.4
Slow Focus

Album de Fuck Buttons (2013)

Fuck Buttons est un groupe qui se prête mal à l'approche « objective ». Je serais bien en peine d'essayer d'expliquer pourquoi, avec cette approche là (et ma connaissance limitée du genre), Tarot Sport est un album exceptionnel avec des moments fantastiques et des moments qui le sont un peu moins alors qu'ils suivent le même principe. [Mais j'en profite pour le rappeler ici au cas où vous auriez manqué la hype de l'époque, leur contribution aux JO de Londres et le prosélytisme par ici : un des meilleurs albums qu'on puisse écouter dans les transports en commun ou sous un soleil cuisant à mon avis.] Et notamment pour son dernier et surtout son premier morceau qui m'ont plus marqué que nombre d'autres morceaux plus complexes et évidemment moins répétitifs. Il y avait là dedans une perfection sonique ou harmonique à ressentir. Tarot Sport c'était avant tout une esthétique qui nous faisait décoller ou à laquelle on restait hermétique, pas trop de juste milieu possible.


Et pourtant après cette déception modérée, qui je pense tient aussi du groupe, je vais être obligé d'être un peu plus terre à terre pour apporter du contrepoint un minimum constructif. Alors évidemment il était attendu d'eux de présenter une nouvelle facette, déjà que Tarot Sport souffrait un chouia du manque de variations. Ce qu'ils ont fait, puisque seul Hidden XS reprend vraiment le son et le crescendo acidulé qui était la marque de fabrique de l'opus précédent. Je ne vais pas trop revenir là dessus puisque ça a été très bien évoqué dans les critiques positives : c'est globalement plus pesant, profond ; l'ambiance est de fait plus sombre, anxieuse et futuriste. Tarot Sport puisait des sonorités dans le shoegaze, des éléments dans la techno, pour un résultat psychédélique "chaud". Slow Focus lorgne lui vers un cyberpunk très 80s, vers du Coil, et en même temps n'est plus très éloigné de la production électronique du moment. Comparez par exemple Year of the Dog aux récents travaux de Oneohtrix Point Never, particulièrement l'intro et l'outro avec le synthé translucide en arrière plan. En théorie ça ne me gêne pas : on aurait pu avoir un album différent et complémentaire. En pratique, je trouve qu'on perd un peu de simplicité grisante pour un gain en style négligeable, à moins que ça ne vienne des compositions.


Sur Tarot Sport la répétitivité était contrebalancée par une montée permanente, par une frénésie, ou parce qu'elle était tout simplement addictive/planante. Ici elle est plus méticuleuse et cinématique mais relativement lassante au final. Heureusement parfois elle débouche sur un équilibre parfait (la splendide fin de The Red wing : texture abrasive jouissive, synthé vibrant et sonorités pop-up lumineuses à la clé), tandis qu'en d'autres endroits elle semble se satisfaire pour une raison inconnue (Prince's Prize). Year of the dog et Sentients sont deux pistes sans mélodies qui malgré leurs textures travaillées (les plaintes stridentes des cordes de la première !) arrivent difficilement à achever autre chose qu'une ambiance oppressante. Ça ne les rend pas mauvaises, mais l'incapacité des composantes à intéragir musicalement, à former une texture dont la force dépasse la somme de ses parties, tout ça a quelque chose de frustrant – et pour des pistes longues ce n'est vraiment pas l'idéal.


Cela dit le 7 ne sort pas de nulle part : littéralement sur cet album plus c'est long...plus c'est bon. Brainfreeze est de loin la plus agressive, de quoi griller mentalement les utilisateurs de casques. Si elle ne justifie pas totalement sa longueur, sa pure intensité graduelle réussit à être évocatrice sans ennuyer, c'est tout con. Stalker a beau être plus conventionnelle que tout ce qui passe avant, c'en est pas moins la synthèse cohérente et efficace de l'atmosphère que le disque essayait de construire. Enfin Hidden Xs est la lueur d'espoir (ou la plus poétique des désintégrations) après ce trip anxiogène, et peut être aussi un bon préambule à Tarot Sport pour ceux qui n'ont peur de rien – et des oreilles solides. Facilement une des meilleures chansons de l'année, même si pour moi elle est le symbole de l'échec de Slow Focus, à savoir faire oublier son aîné.

Zephir
7
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le 6 déc. 2013

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Zephir

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