Spirits Rejoice
7.7
Spirits Rejoice

Album de Albert Ayler (1965)

Les années 64 et 65 sont parmi les plus fécondes d’Albert Ayler, on sent une tendance lourde se dessiner au fil des albums, l’exposé et la répétition des thèmes prennent une place de plus en plus importante à l’intérieur des morceaux, au détriment des improvisations. L’autre aspect marquant, comme sur Bells et sur cet album, c’est le nombre assez important des musiciens qui s’expriment. On pourra objecter que Call Cobbs n’intervient que sur un seul titre, mais nous avons affaire tout de même à un duo de bassistes ainsi qu’ à trois instruments à vents, en effet, une trompette et un sax alto vont seconder Ayler dans son effort. C’est une masse orchestrale peu habituelle dans les enregistrements pour ESP d’Albert Ayler. La prise de son n’est pas mauvaise, le lieu d’enregistrement ayant été choisi avec soin, par contre on n’entend peu Charles Tyler


C’est Spirit Rejoice, que l’on surnomme parfois « La Marseillaise » qui débute l’album. La marche est un support assez courant pour Albert Ayler qui ne dédaigne aucun air d’aucune sorte en matière d’inspiration. Gageons qu’il aimait La Marseillaise et son allant, car il n’y a pas place à l’ironie à l’intérieur de sa musique. Outre-Atlantique on ne réagit pas comme en Europe à ces airs « campagnards » si familiers à nos oreilles. La coda des vents entonne notre hymne qui devient ritournelle soutenue par l’équilibre fragile de la rythmique qui s’avance bancale, contournant la ligne mélodique, Gary Peacock se montre pointilliste, Sunny Murray frappe sa caisse claire avec force et intermittence, intervenant en outre sans relâche sur le registre aigu de son instrument, à renfort incessant de percussion des cymbales. Ayler, lui, est bouillonnant lors de ses quelques solos, intercalés dans le défilé incessant des marches, brillant par son expressivité dans ce mix de culture «Américano- Européenne ».
Holy family est un thème joyeux pour cette Sainte Famille, Ayler se montre lyrique lors de l’exposé du thème, répété à l’envie pendant ces deux minutes trente.


D.C. est très free, Don Ayler s’exprime avec fougue et inspiration, poussé par la puissance de Sunny Murray qui frappe comme un beau diable. Le duo des basses dialogue avec complémentarité, offrant maintes possibilités aux solistes de se raccrocher aux multiples branches ainsi créées, Albert Ayler fait couiner le sax en une longue plainte gémissante, avant une nouvelle exposition du thème prolongée par un solo ravageur, puis rejoint par l’ensemble des instruments à vent. C’est vraiment un soliste extraordinaire, on comprend pourquoi il a tant attiré l’attention de Coltrane. Ensuite on entend un magnifique duo entre Henry Grimes et Sunny Murray, avant la réexposition du thème final.


Angels offre à Call Cobs, voisin d’Albert Ayler à New-York, l’opportunité de s’exprimer, c’est une agréable ballade où le lyrisme de notre ténor peut s’extérioriser avec toute la générosité qu’on lui connaît, sur le tapis de velours offerts par la profondeur grave de l’archet glissant sur la basse et les douces notes du clavecin plantant le décor dans un classicisme plutôt Européen, en une succession d’arpèges de style baroque, on distingue Charles Tyler à l’arrière.


Prophet est sauvage et explosif, en parfaite opposition au titre précédent, au moins en ce qui concerne l’accessibilité. Ici tout est cri, liberté et improvisation. Le groupe en entier se déchaîne et laisse libre cours à sa faconde, donnant une impression de volubilité grouillante, les basses y vont de leur duo avant de laisser place à nouveau à la plainte, jouée à l’unisson par les instruments à vents qui terminent ainsi l’album, dans une tension aiguë.


Un album en forme de bilan, comme pour clore cette période E.S.P. avant le grand virage musical de l’ère Impulse.

xeres
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le 9 mars 2016

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