Standards
6.7
Standards

Album de Tortoise (2001)

Originalité versus qualité. Lequel est le mieux ? Pour beaucoup de critiques, l’un ne va pas sans l’autre. Pour énormément d’entre elles, c’est même souvent le premier qui est privilégié quand on analyse leur habituel état d’esprit. Et quitte à choisir entre les deux, elles choisiront plus volontiers la révolution à la sécurité.


Hélas, cette démarche trouve tout de suite ses limites quand l’étrangeté devient un but en soi. C’est à ce moment précis que je vous sors du placard mon punching ball préféré, le fameux Trout Mask Replica du Captain Beefheart. Œuvre sans équivalent à son époque (même aujourd’hui, cela semble très difficile à trouver). La copulation ultime entre le blues, le rock et la dissonance dans un capharnaüm inécoutable pour le commun des mortels. Séminal, ce disque l’est probablement (même si le peu qu’il a inspiré comme Pere Ubu, Public Image Ltd et surtout Moonshake est infiniment meilleur). Cela ne le rend pas moins insupportable. Quitte à garder une bonne image du Capitaine, on ira plutôt écouter Safe as Milk. Ce n’est pas un OVNI, donc il n’est pas susceptible de nous faire rayonner en soirée. Mais au moins, on peut considérer qu’il s’agit véritablement de musique.


Le quatrième album de Tortoise est malheureusement d'un acabit similaire. Car si l’entité de Chicago était déjà un des acteurs les plus singuliers du mouvement post-rock, elle devient un pilier de l’avant-garde avec Standards. C’est tout à fait le type même d’œuvre ayant affolé les musicologues et les journaleux. Du post-rock aux mille influences : électronique, lounge, hip hop, dub et joué par des musiciens au feeling jazz (le jazz, ça fait tout de suite sérieux). Difficile d’être certain sur la raison de cette rénovation sonore (le passage à l’an 2000 ou leur arrivée sur le très sérieux label Warp ?), cette sortie recelant d’innombrables sonorités modernes tout en mettant plein la vue (rien que « Seneca » transite du bruitisme au hip hop en passant par l’électro). Au point qu’on n’a jamais entendu une telle musique ailleurs. Leurs précédents albums en deviennent bien sages et modestes en comparaison.


… Sauf qu’il suffit d’aiguiser un minimum son sens critique pour dégonfler cette boursouflure sonique telle un ballon de baudruche afin de constater ce qui s’y trouve à l’intérieur : du néant ou pas grand-chose, au mieux. Derrière les arrangements audacieux, les rythmiques bigarrées, l’exploration sonore, il y a peu de mélodies mémorables. Quant à l’ambiance, elle inexistante ou alors aucunement aussi forte qu’auparavant (l’intro de « Blackjack » et cette ode au vide qu’est « Firefly »).


Standards pourrait être le prolongement des moments les plus expérimentaux de Millions Now Living Will Never Die et de TNT. Les plus prétentieux diront même leurs détracteurs. Mais là où ces deux disques nous amenaient à explorer des territoires inconnus tout en retombant sur leurs pattes (grâce à un sens de la mélodie et du groove), celui-ci a des allures de work in progress. Comme des ébauches de jam manipulées, trafiquées en studio et qu’on jetterait pèle mêle sur une rondelle en plastique en espérant que l’auditeur saura recoller les morceaux pour remettre tout en place. La Tortue a peut-être inventé la musique en kit sans le savoir ici.


Mâcher le travail et chercher la facilité est souvent contre-productif dans une œuvre artistique. Cependant, quand on commence à se demander à quoi rime tout cela, c’est probablement parce qu’il y a un problème. Puisqu’en dépit de son ambition et de l’énorme travail qu’à dû mobiliser ce disque, on a trop régulièrement la sensation que la démarche a pris trop le pas sur le résultat (« Eros » ou encore la basse ainsi que le vocoder de « Monica » laissent pourtant imaginer l’inverse).
Ce qui est une preuve qu’un important renouvellement sonore peut être également parfaitement vain.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
3
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le 27 sept. 2017

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