Stridulum II
6.9
Stridulum II

Album de Zola Jesus (2010)

Avant, les journaleux aimaient à qualifier la musique des Cure de gothique. C'était avant. Mais depuis 2010, tout a changé, ou tout devrait logiquement changer, puisque Zola Jesus a débarqué de son Amérique profonde avec son "Stridulum 2". Nika Rosa Danilova, de son vrai nom, semble s'être fabriqué un pseudonyme en utilisant la même démarche qu'un certain Marilyn Manson : associer deux patronymes à priori opposés et convaincre les gens que finalement, leur union coulait de source. On l'aura compris, "Zola" fait référence à l'écrivain, et "Jesus"... Pas besoin de vous faire un dessin. Juste qu'à mon avis, Manson aurait certainement rechigné à choisir le second ! Ou il l'aurait fait de manière beaucoup plus cynique, car après tout Jesus a tout d'un serial killer lui aussi... Mais je m'égare, là.
Revenons donc à ce terme, "stridulum" : qu'est-ce exactement ? Selon l'intéressée, il s'agirait du titre d'un film d'horreur totalement obscur qui l'a fortement marquée. On comprend mieux cette pochette monstrueuse et l'ambiance qui règne sur ce disque, d'un coup. Un premier EP du même nom était déjà sorti avant l'album, d'où le fameux "2" qui a été ajouté ici.

Voilà pour les présentations d'usage... Mais musicalement, à quoi et à qui avons-nous affaire ? Zola Jesus semble être la nouvelle prêtresse de la dark-wave, chose que je ne m'amuserai pas à contester, puisque l'on sent réellement dans son travail l'influence de l'opéra, du baroque, de la cold-wave et du mouvement gothique underground, le vrai, et pas ce terme galvaudé utilisé de nos jours à tort et à travers. On en revient ici au groupe cité en début de critique, mais pour être tout à fait juste, si l'on voulait vraiment la comparer avec une formation britannique des années 80, ce serait sans nul doute Siouxsie and the Banshees : Siouxsie, avec qui elle partage un timbre de voix étrangement semblable. Il y en aura toujours pour s'irriter de cette filiation facile, mais ne soyons pas hypocrites, c'est tout de même indéniable. Sur le chant du moins, et sur cette noirceur abrasive qui émanait jadis de "The scream" ou "Juju".
D'accord, techniquement, c'est forcément un peu plus complexe. La principale différence, c'est que pour trouver des guitares chez Zola Jesus, il faut se lever de bonne heure (pour l'instant, mais il ne serait pas étonnant du tout qu'elle y vienne dans peu de temps). Non, ce n'est pas son instrument de prédilection. Batterie, synthé, voix : voici le trio gagnant imaginé par l'artiste pour ce disque. Même les basses sont quelque peu noyées. Autant dire que la demoiselle fait preuve d'un certain minimalisme, dans un sens. Mais en tant qu'ancienne chanteuse lyrique, celui-ci sera vite comblé par sa puissance vocale, peut-être même un peu trop envahissante sur l'ensemble de l'album (ainsi, "I can't stand" / "Stridulum" reste le passage le moins heureux) ; ce qui fera dire aux détracteurs, et on ne pourra pas les blâmer, qu'on peut avoir cette fâcheuse impression d'entendre toujours la même chose. Je dois avouer que cela m'a également frappé lors de mes premières écoutes, et il est fort probable que si l'on ne parvient pas à passer ce cap, "Stridulum 2" restera une sorte de masse sombre et gluante, insondable, frustrante, et dans les cas extrêmes, insupportable, comme une tâche de marqueur indélébile sur un canapé blanc. En réfléchissant bien, même la batterie et les claviers peuvent avoir un aspect assommant : ils sont eux aussi extrêmement présents, martelant ou s'étendant en nappes fantomatiques, jusqu'à plus soif. En fait, Zola Jesus possède certes un minimum de moyens, mais l'usage qu'elle en fait frise l'emphase. En outre, cela ne lui permet pas beaucoup de variations de rythmes ou d'ambiances ; les neuf morceaux sont donc construits, pour la plupart, autour d'une section atmosphérique lourde, pesante : une sorte de liqueur de réglisse sonore.
Alors, pourquoi mon appréciation finale reste-elle plutôt positive ? Tout simplement parce que j'ai réussi à accrocher, après plusieurs écoutes, à son univers plombé et souterrain, sans pour autant que l'on me force la main en me menaçant de me la couper (je tenais à vous rassurer). Pour ses textes – certes répétitifs par moments, mais ça fait partie du trip - d'où émanent, presque comme une évidence due à l'héritage de la new-wave, des douleurs amoureuses et des affres existentialistes. Parce que la plupart des chansons, dans leur genre, sont vraiment bonnes, même si on a parfois "trop" le sentiment d'avoir déjà entendu ça trente ans plus tôt : errances coupables que l'on pardonnera sans insister, en les mettant sur le compte des erreurs inconscientes du débutant. Parce que l'enchaînement "Run me out" / "Manifest destiny" envoie franchement du rêve, que "Night" en introduction, avec ses chuchotements d'outre-tombe, annonce la couleur direct, que "Lightstick" en conclusion, un peu plus légère, presque aérienne, délaisse le schéma global du disque et permet d'entrevoir l'avenir musical de l'artiste. Parce qu'on sent qu'il y a derrière tout cela une véritable personnalité qu'il faut encourager, et non un produit fabriqué et estampillé "sosie de...", malgré les apparences (Siouxsie ressuscitée, Kate Bush ténébreuse ? On trouvera toujours des comparaisons...). Bref, parce que "Stridulum 2" est un bon disque qui sait se distinguer... Pour résumer.
Psychedeclic
8
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Post new-wave : Top 55 Albums et Les meilleurs albums de 2010

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le 22 déc. 2011

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