The Album
6.8
The Album

Album de ABBA (1977)

La réhabilitation artistique d'ABBA ne viendra - je pense - que lorsqu'ils ne vendront plus quelques millions d'albums par ans et lorsque le grand public les aura plus ou moins oubliés, alors au lieu d'attendre quelques décennies pour voir arriver cette hype anticipée, autant se libérer tout de suite de ces préjugés persistants qui consisteraient à faire passer le quatuor pour de l'easy-listening fade pour populace écervelée.


Mais les raisons de l'absence de considération à leur égard parmi les milieux musicaux «respectables» sont pour moi plus ou moins claires. Une de ces raisons est très simple : les préjugés n'ont pas totalement tort. J'aimerais vous dire le contraire, mais le fait est là : lorsqu'on pose sa petite oreille sur un de leur album, on trouve exactement ce à quoi on s'attendait : de la putain de pop magnifiquement dégoulinante et ringarde. Mais apprécier la pop-rock dégoulinante à sa juste valeur lorsqu'on est plus habitué, tout autant que n'importe quel style comme le Death Metal, ça passe aussi par une éducation préliminaire. Moi aussi, j'ai grincé des dents lorsque j'ai pu entendre les premières notes de synthés de Eagle.


Aujourd'hui je pourrais disserter pendant des heures et des heures pour vous dire à quel point le format commercial et calibré est absolument transcendé par l'intelligence et le génie de la composition, puis par les arrangements et les harmonies vocales à vous rendre jaloux un Brian Wilson. Mais comme j'ai l'impression que ce serait légèrement vain, je préfère sortir un argument purement personnel, mais qui est en fait la raison de mon énorme sympathie pour ce groupe : l'absence totale de prétention musicale. À vrai dire, je ne suis pas réfractaire à la prétention en soi, mais lorsqu'on ne fait que composer de la pure pop commerciale formatée, je trouve ça plus ou moins insupportable.


Mais avec ABBA, je me sens simplement lavé de tout. Pas d'ambition mal placée, pas de tire-larme, pas de personnalité proéminente qui ferait passer l'image du groupe avant leur travail même. Juste de la musique. C'est là encore un de leur point faible pour devenir un groupe respecté, car il n'y a rien pour s'attacher à eux. Lorsque vous dites : "J'écoute Queen", vous écoutez une putain d'icone épique morte en héros, lorsque vous dites "J'écoute Mickael Jackson" , vous écoutez le sur-charismatique roi de la pop, et enfin lorsque vous dites "j'écoute ABBA"... eh ben... Vous écoutez deux couples échangistes aux goûts vestimentaires douteux. La musique étant bien souvent indistinguable de l'image qu'elle renvoie de nous, c'est peu supportable.


Qu'importe : de la musique avant toute chose ! Et pas n'importe quelle musique monsieur ! Ecoutez-moi "Move On", puis crachez-moi à la gueule qu'il ne s'agit que de pop basique, fade et superficielle, je vous répondrais que si toutes les musiques fades et superficielles pouvaient avoir cette tête, nous vivrions dans un beau monde. Car s'il y a un argument beaucoup moins personnel que vous ne pouvez contrer c'est bien celui-ci : Agnetha et Anni-Frid. Par leurs voix couplées, elles transformeraient n'importe quelle ébauche de pop song mal écrite en un rayon de soleil radieux qui illuminerait votre journée !


Mais que de tartine et je n'ai même pas commencé à parler de l'album... L'humiliation ultime que se tape ABBA est que, sur un site où tout le monde sait que l'on doit juger un groupe sur ses albums, ils soient uniquement jugés sur leur Greatest Hits. Alors voilà : The Album est peut-être la dernière chance de se rattraper car il s'agit de la tentative la plus aboutie du groupe pour enregistrer un album consistent, mature et cohérent et se démarquer des précédentes productions qui étaient plus des excuses pour placer ci ou là quelques hits. (Pardon : une tonne de hits en fait.)


Niveaux tube, ce n'est pas très fourni d'ailleurs, tout au plus retiendrons-nous la magnifique Take A Chance On Me qui atteint un niveau de complexité simplement ahurissant dans son style respectif, à savoir "pop idiote pour faire danser". L'autre tube, Thank You For The Music est quant à lui enfin remis dans son contexte, à savoir dans la suite "Thank You/I Wonder/ I'm a Marionette", mini-comédie musicale qui termine l'album et qui aurait dû initialement porter le concept de tout l'album. D'ailleurs, si vous avez vraiment une très mauvaise opinion d'ABBA, je vous recommande absolument d'écouter cette critique du show-biz qu'est I'm A Marionette. Vraiment.


Mais The Album ne fait pas que terminer avec une tuerie, il commence aussi avec une des meilleures chansons pop de tous les temps. Et ce fait, je le défendrais avec vigueur. Eagle doit être la seule chanson du répertoire d'ABBA sur laquelle je pourrais pleurer. Oui. Vous avez bien entendu. Tout dans ce titre est d'une telle perfection et d'une telle fluidité que le miracle arriva : une chanson du quatuor est devenu émouvante.


L'album capture alors toutes les facettes du groupe de manière beaucoup plus équilibrée qu'une compilation grasse et sucrée . On a le droit au tube, à la jolie ballade, à la petite chanson idiote mais qui rend de bonne humeur (Move On, putain.), à une ébauche d'auto-critique dans une semi-comédie musicale, à la tentative ratée mais touchante de l'approche de quelque chose de plus rock 'n roll, bref, ABBA, ce n'est pas qu'une machine commerciale.


Mon but avec cette critique n'est pas de convaincre que leur musique est vraiment la meilleure au monde de tout l'univers, ils souffrent d'un millier de défaut et je le reconnais, mais plutôt insister sur ce point : qu'on l'aime ou pas, ABBA est un groupe sérieux et il devrait être jugé comme tel. Et non pas avec ce mépris parfois inconscient et réducteur qu'on lui porte, que ce soit en mal ("Trop entendu à la radio, merde commerciale") ou en bien ("Oh bah c'est sympa, on peut danser dessus.").


Sur ce, comme déjà plusieurs fois avec mes longues critiques, je vous laisse un bisous sur la joue si vous avez tout lu.


https://www.youtube.com/watch?v=xzkkrDYRGSU

Erw
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le 16 juil. 2015

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Erw

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