L'épisode Bulletproof Wallets sorti en 2001 chez Epic Records semble avoir laissé plus de marques que prévu. Signé dans la foulée chez la maison mère du rap New-Yorkais, Def Jam, Dennis Coles souhaite vite tourner la page sur cette déception. Le 20 avril 2004 voit donc le jour The Pretty Toney Album et avec lui, son lot de changements. Le rappeur raccourcira d'abord son nom pour ne laisser que ''Ghostface'', sobriquet qu'il gardera juste le temps de ce nouveau projet, retrouvant son nom d'origine dès sa prochaine sortie. Ensuite malgré deux productions de RZA, aucun membre du Wu n'est présent, juste l'un de ses protégés, Trife Da God. Les invités justement, confirment l'envie de Ghost de faire du pied au mainstream, tout en conservant une street credibily.

Vu les ventes faibles de son précédent opus, il est normal que Ghost ait voulu renverser la vapeur avec des sonorités différentes, susceptibles de plaire à un public plus large. Il n'est donc pas étonnant de retrouver le titre ''Tush'' comme premier single de The Pretty Toney Album. Produit par Missy Elliott, il détonne totalement avec ce que Ghostface avait pu faire auparavant, avec le flow et le BPM rapides. Le sexe est le sujet principal du titre, sous la forme de métaphores, de jeux de mots, comme la productrice sait si bien les faire. Placé au milieu de l'album, il casse un peu le rythme de par sa structure différente et des influences de l'ensemble. A tel point qu'il ne semble pas appartenir à Ghost, mais l'objectif d'être connu d'une plus grande audience fut atteint grâce à son succès dans les charts. ''Ghostface'', avec ces choeurs féminins, ce son aigu permanent, les lyrics sous forme d'égo trip, cherche à être lui aussi un hit mineur pour les clubs, dans la lignée de ''Cherchez LaGhost''.

Avec déjà quatre albums en assez peu de temps, Ghostface sait que sa côte ne cesse de monter et ces morceaux s'inscrivent dans cette lignée. Tout comme cette introduction où il est assaillit de questions par des journalistes et des passants sur d'autres rappeurs, le Wu-Tang ou son propre album. Le tout sous les flashs des appareils photos et devant les caméras. Ce nouvel opus ne tourne pourtant pas autour de morceaux dansants ou de succès. Le reste des dix huit titres reste fidèle au travail et à la personnalité du rappeur.

Là où Bulletproof Wallets était plutôt influencé par le R'N'B, The Pretty Toney Album retourne chercher l'inspiration du côté de la soul. Grâce au travail des producteurs K-Def, No I.D ou Nottz, les meilleurs morceaux sont habillés des plus beaux samples ce qui donne une homogénéité agréable et soignée. Parmi eux le superbe ''Be this way'' où l'extrait de ''(We'll always be) Together'' de Bill Stewart confère un aspect grandiloquent, victorieux au rap de Ghost, avec ces cuivres et ces violons. ''Holla'' est élégant et va même voir du côté du gospel avec ce refrain à l'aide choeur. Titre sur son quotidien de rappeur, entre richesse, ghetto et amour pour ses proches. De manière générale, les prods sont plutôt chaleureuses avec ces cuivres généreux, ces samples vocaux et ces choeurs. Notamment sur ''Save me dear'', récit de la vie de couple dans le ghetto où les choses ne semblent pas si différentes qu'autre part.

Même les titres racontant sans détours la réalité du quotidien dans ces quartiers, ne sont pas si sombres grâce à cet habillage qui permet d'adoucir l'ambiance. Mais pas les lyrics. ''It's over'' raconte plusieurs récits où le rappeur était sur le point de réparer un problème avant que les choses n'empirent, entre trahison, infidélité et flics. ''Biscuits'' avec Trife Da God quant à lui montrent qu'il ne faut pas les chercher au risque de finir refroidit, le tout sur un refrain chanté et une mélodie au piano. Tandis que ''Run'' avec Jadakiss défile aussi vite qu'un Uzi crache ses balles l'histoire des deux Mcs cherchant à fuit les flics, les poches pleines de drogues. Ce parallèle entre lyrics durs et crus et des sonorités soul est d'ailleurs un des points forts de cet album. Jusqu'à même rendre le tout groovy et entraînant. Comme sur ''Beat the clock'' où Ghost se parle à lui-même accompagné de clappement de mains, d'une ligne de basse géniale et de sirènes de police.

Les femmes sont l'autre sujet principal du disque, comme à l'accoutumée avec Tony Starks. Et comme d'habitude il va jouer plusieurs rôles, allant de l'homme prêt à tout pour reconquérir sa belle (''Tooken back'' avec la rappeuse Jackie-O), au pervers (''Keisha's house'') en passant par l'amant infidèle (le skit ''Last night'' et ses bruits énervants de téléphone et son refrain qui reprend l'air de ''Super hoe'' de Boogie Down Productions). Ces moments sont les moyens de voir que Ghost Deini n'a rien perdu de son talent pour le storytelling et les histoires racontées en tout juste une minute ou plus.

The Pretty Toney Album se clôt sur ''Love'', produit par No I.D, c'est un morceau simple, sans prétention bercé par une mélodie soul et gospel où Ghost rend hommage aux personnes qu'il aime. Titre qui résume assez bien ce disque où il a su garder ses fondamentaux, sa personnalité et ses sonorités préférées, tout en ne restant pas sur ses bases. Dans l'ensemble, cet album est soigné, élégant et très bon comparé aux autres projets de ses compères du Wu. Nouvelle preuve du statut important de Ghostface en tant que rappeur solo complètement capable de garder une carrière cohérente et intéressante sans eux.

La pochette exprime à elle seule cette impression. Elle est issue du concert de Jay-Z au Madison Square Garden en 2003 pour fêter sa (fausse) retraite où tout le gratin rapologique américain été convié. Il apparaît serein, tel un entertainer, et vêtu d'énormes chaînes en or. Fade to Black, le film réalisé sur ce fameux spectacle, permet de voir que c'est Slick Rick, rappeur célèbre notamment de la fin des '80, qui le lui avait remis.

Belle image de respect pour Ghostface, qui n'a cessé depuis ses débuts avec le Wu de rester fidèle à la musique qu'il aime, tout en faisant évoluer son travail, jusqu'à inviter de nouveau guests, preuve de sa renommée grandissante. Nominé partout comme l'un des meilleurs albums de l'année 2004, et succès critique comme commercial, cet opus fut celui qui lui permis de reprendre confiance, de soigner ses plaies et d'être de nouveau à l'épreuve des balles.
Stijl
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le 24 août 2014

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