Ultra
7.3
Ultra

Album de Depeche Mode (1997)

DEPECHE MODE, CHAPITRE 9 : « ULTRA » OU L’ÉMOUVANTE RÉSURRECTION.

Les années 90 auront été un terrible gouffre à franchir pour Depeche Mode…un gouffre rempli de tensions et de pression quasi-permanente qui lui auront fait perdre son batteur Alan Wilder las que ses idées ne soient pas davantage prises en compte dans le groupe, et qui lui auront même quasiment fait perdre son chanteur. En effet, Dave Gahan après avoir tenté une première fois de se suicider (même si il dira bien plus tard qu’il s’agissait plus d’un appel à l’aide) failli réussir son coup une bonne fois pour toute en étant déclaré mort (cliniquement) pendant deux minutes environ à la suite d’une overdose. C’est donc un groupe redevenu trio et fatigué que nous retrouvons à présent en studio vers fin 96 pour enregistrer un nouvel album : « Ultra » qui sortira donc en 97 soit 4 ans après le précédent chef d’oeuvre : « Songs of faith and devotion ».


Si Martin Gore semble se calmer un peu sur la picole (mais mettra très longtemps en réalité à décrocher), et qu’Andrew Fletcher semble sorti de dépression, on ne peut pas dire que ça soit la grande forme pour Dave Gahan… Vocalement le pauvre homme ne pouvait pour ainsi dire plus chanter correctement…la drogue, les abus divers, et les concerts incessants avaient pour ainsi dire flingué sa voix qui pendant quelques temps en avait fait un des chanteurs les plus talentueux de son époque. Abattu et désemparé de ne plus réussir à chanter comme sur l’album précédent, il lui faudra un coach vocal et différentes prises pour réussir à obtenir des lignes vocales qui soient impeccables…et au vu du résultat final autant dire que l’on ne se rend absolument pas compte des difficultés qu’il a pu rencontrer durant l’enregistrement. C’est en ce sens que « Ultra » est un album spéciale : à la base on ne savait même pas si il n’allait pas s’agir d’un album de Martin Gore en solo tant le futur du groupe était incertain depuis le départ d’Alan Wilder, et tant son chanteur semblait plus que jamais au fond du trou. Car c’est bien un Dave Gahan avec une voix plus fragile et plus touchante que jamais qui revient…comme le prouvera la belle et nocturne ballade : « Sister of night » premier titre que Martin aura demandé à Dave de chanter sur le disque. Il s’agit d’un morceau sombre avec des bruitages étranges venus d’une autre planète et un break doté de secousses abruptes qui viennent trancher avec l’atmosphère paisible de l’ensemble.


D’entrée de jeu on sent cela dit que « Ultra » sera un disque sombre…très sombre…comme l’annonce le morceau d’ouverture : « Barrel of a gun » un des plus grands morceaux du groupe selon moi, très rock, et qui constitue une vraie baffe dans la gueule d’entrée de jeu avec une batterie renversante et des riffs de guitares tordus et corrosifs! La voix déformée de Dave Gahan (un peu façon Nine Inch Nails en moins pire) nous balance des paroles d’un fatalisme désarmant : « Tu veux dire ce pauvre type excité…qui tient à peine sur ses pieds, qui a l’air d’avoir besoin d’un sommeil qui ne vient pas. Ce désordre tourmenté, fou, ce lit de péchés qui a très envie de repos et se sent engourdi. Qu’attends-tu de moi ? Que veux-tu ? Quoique tu aies prévu pour moi…je ne suis pas l’élu. Un appétit vicieux me visite chaque nuit et ne sera pas satisfait ne sera pas renié. Une douleur insupportable, un battement dans mon cerveau qui laisse la marque de Caïn juste ici à l’intérieur. Que suis-je supposé faire, quand tout ce que j’ai fait m’amène à conclure que je ne suis pas l’élu? Quoique j’ai fait Je me suis retrouvé face au canon d’un pistolet… »


Martin Gore aura beau clamer qu’il ne s’est pas inspiré de Dave Gahan pour écrire ses textes…impossible de le prendre au sérieux en lisant ça…surtout quand on sait à quel point le pauvre bougre faisait tout son possible pour décrocher avec la drogue pendant l’enregistrement. Imaginez un type complètement affaibli et à bout psychiquement en pleine cure de désintox qui en tant qu’ex-junkie repenti manque de se faire sauter dessus par ses dealers voulant le refaire sombrer à chaque fois qu’il ressort du studio…ça influe forcément sur l’atmosphère du disque. « The love thieves » sera beaucoup plus calme…le chant de Dave y est plus apaisé et l’ensemble très épuré tout en se terminant sur de délicats accords de guitare d’une mélancolie profonde. De façon générale la musique présente ici est produite avec des sons plus électroniques que sur le disque précédent tout en conservant une base rythmique très rock et un son très organique et humain…encore plus que sur « Songs of faith and devotion » où la production était étouffée par la guitare et la batterie la plupart du temps.


On retrouve ensuite « Home » subtile ballade chantée par Martin emmenée par de discrètes nappes de violon, et un solo de guitare particulièrement savoureux à la fin, il a beau ne pas être technique du tout il faut bien reconnaître que les notes qui le constitue restent bien gravées en tête et ça c’est l’essentiel! « It’s no Good » très caractéristique du talent « faiseur de tubes » du groupe se veut moulé dans la plus pure tradition « Modienne » : rythme pop, refrain accrocheur et immédiatement mémorisable, il sera d’ailleurs le morceau le moins sombre et le plus « commercialisable » de l’album. Le dernier single Useless lui, est un morceau de Rock typique avec une ligne de basse très classe, un rythme rock dans la lignée de « Barrel of a gun » , et surtout un riff de guitare très recherché et excellent qui vient ponctuer le morceau au début et au milieu de celui-ci d’une fort belle manière! Par ailleurs remplacer Alan Wilder ne sera pas une mince affaire…il en faudra des gens pour jouer un peu de basse par ci, un peu de batterie par là…jusqu’à obtenir une certaine équipe au fur et à mesure qui les suivra sur leurs concerts mais ne sera jamais crédité à la compo…Martin Gore restant à l’heure actuel seul maître à bord à ce niveau là.


Ici Depeche Mode joue la carte de la musique intimiste et aérée…c’est une manie pour le groupe de prendre le contre-pied systématique du disque précédent. Les interludes réparties sur des pistes à part (« Uselink » et « Jazz thieves ») sont réussies et utilisent très peu de sons pour créer leurs ambiances. Mais minimaliste ne rime pas avec « simpliste » car si la situation dans laquelle se trouve le groupe est en tout point similaire à celle dans laquelle ils étaient après le départ de Vince Clark en 1981…le groupe est devenu très grand entre temps et n’est en aucun cas désarmé. Depeche Mode créé des atmosphères épurées avec peu de moyens pour vous faire sentir aussi vulnérables qu’eux, ils font mine de baisser leur garde pour mieux vous hypnotiser, ils extériorisent leurs démons pour mieux les affronter, ils fusionnent le rock et l’electro de façon charnelle pour mieux vous les faire apprécier, ils réunissent les contrastes sans jamais se contredire!


Enfin, puisqu’il s’agit d’un album de « renaissance » il est logique de s’attendre à une fin autrement plus joyeuse et optimiste qu’un début complètement sombre où le chanteur nous fait comprendre qu’il est à l’agonie. On a droit par conséquent à un enchaînement de trois superbes morceaux! Freestate où le groupe se sert pour la première fois d’une « pedale steel » donnant ainsi au morceau un côté « folk » inattendu, les paroles très belles et une fois de plus personnelles sont comme un message à un ami perdu dans la drogue dont on lui souhaite d’échapper au plus vite : « step out of your cage and onto the stage » même si il n’a pas écrit le morceau Dave avait eu l’occasion de décrocher avant certains de « ses amis de seringues » donc difficile de ne pas faire de rapprochement.


Pour conclure avec cette idée de renaissance, on a droit au thème de la mort attendue comme une douce amie sans aucune crainte sur le morceau suivant « The Bottom Line » (« i follow you ») deuxième morceau chanté par Martin, on peut y voir là « mourir pour mieux renaître » vu que le morceau suivant : « Insight » est la rédemption même! La voix de Dave y est véritablement apaisée, les sons de synthés sont claires et lumineux, et les paroles profondément magnifiques et à valeurs universelles pour toute personne devant se relever et aller de l’avant : « the fire still burn » (le feu, celui de la vie, brûle encore), tandis que les chœurs de Martin nous encouragent à continuer à donner de l’amour (à ceux qui le méritent ça va de soi!) quoi qu’il arrive : « get in love » …. et le pire dans tout ça c’est que ça n’est pas niais une seule seconde!


Bref, une fois sorti d’un tel album difficile de toujours penser que « Violator » constitue l’ultime et unique sommet de la discographie de Depeche Mode tant celui-ci est d’une richesse musicale, émotionnelle, et revêt d’un côté « Ultra-personnel » consacrant définitivement Depeche Mode parmi les grands. « Violator » était un grand disque, « Songs of faith and devotion » aussi dans un style un peu plus difficile, mais « Ultra » venant clore ce que je nomme « la sainte trinité de Depeche Mode » des années 90 est tout simplement un BEAU disque…le plus profond et le plus humain de toute leur carrière! « Ultra » est le témoignage musical même qu’il n’y a pas de moment suffisamment sombre dans la vie dont on ne finit pas par se relever…c’est une ode à l’éternelle résurrection, un grand souffle vital qui vous parcours pendant près d’une heure et vous requinque jusqu’à la prochaine fois où il sera à nouveau temps de l’écouter!


Après un tel chef d’oeuvre (peut-être le disque préféré du chroniqueur) Depeche Mode a prouvé que même à 3 ils étaient encore décidés à rester…Le groupe se retrouvera en effet encore en tête des charts dans plusieurs pays et pourra prendre le temps de préparer sereinement son entrée dans le 21ème siècle avec son prochain album…. « Exciter ».

Créée

le 27 nov. 2016

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Venomesque

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