Les Screaming Trees ont commis une monumentale erreur : ils ont toujours tout fait en étant en avance sur la concurrence. Ils étaient parmi les premiers à jouer du grunge alors qu’ils n’étaient pas originaires de Seattle. Avec leur cinquième œuvre studio, ils se font signer sur une major (Epic) dès le début de l’année 1991 alors que le genre n’arrive en force qu’au bout de six mois ! Il faut bien trouver des circonstances atténuantes pour expliquer la confidentialité de ce groupe méritant.


Seulement, méritant ne veut pas forcément dire génial. La bande des frères Conner n’a pas encore atteint les sommets qui lui permettrait de rivaliser avec les deux blockbusters de cette année. Elle a néanmoins compris une chose, c’est qu’elle doit renouveler et rendre plus accessible son style bâtard de rock psyché, de pop et de punk pour espérer toucher un plus large public.


Première étape, trouver un producteur à l’avenir plus prometteur que le culte Jack Endino. Le choix se porte donc sur Terry Date. Une bonne pioche. Il y a également une participation bonus non négligeable : celle de Chris Cornell, le leader de Soundgarden. Car bénéficier de l’appui du chanteur d'un des vieux lions de la savane grunge, ce n’est pas rien. Surtout quand on n’est pas du même coin. Ce qui est une nouvelle preuve de la formidable entente mutuelle qui régnait dans cette scène très solidaire.


Deuxième étape, mener cette musique vers le grand public sans lui faire perdre son authenticité. Ce qui amène quelques changements dans les compositions. L’aspect punk des Trees disparait pratiquement et le côté psychédélique s’efface un peu pour laisser place à un rock alternatif toujours personnel, mais plus classique. Ce qui aurait pu être une erreur s’avère être un virage finement négocié. Les bonnes compositions sont plus nombreuses que sur Buzz Factory (la majestueuse « Beyond This Horizon », le poppy « Lay Your Head Down ») et la voix de Mark Lanegan atteint un palier. Elle s’affine, s’approfondit et gagne en charisme (le superbe « Before We Arise » peut en témoigner). Ce qu’elle perd en folie des jeunes années, elle le gagne en maturité. Ce qui sied particulièrement bien au monsieur. Pas grand monde ne semble au courant à cette période, mais le chanteur aux cheveux longs possède de très précieuses cordes vocales. Une information qui est restée, hélas, confidentielle jusqu’à la médiatisation de sa carrière solo et de sa participation chez Queens of the Stone Age.


Malgré tous ces points positifs, Uncle Anesthesia n’est qu’un disque sympathique parmi tant d’autres. Déjà parce qu’il contient trop de morceaux bouches trous (plus que les albums de 87 et 88 qui étaient pourtant bien plus brouillons) et aussi à cause de la production sans nuances de Terry Date. Le bonhomme ayant plus l’habitude de produire du metal, il arrondit trop les angles lorsqu’il s’agit de rock. Il a commis cette erreur avec Mother Love Bone et fait de même ici. Ce qui donne un son trop lisse pour une musique se voulant sale et psychédélique en dépit de son esprit pop. On est loin de la réussite sonore qu’est Badmotorfinger.


Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Puisque les Screaming Trees ont agi trop hâtivement en cherchant à anticiper une vague qui pouvait leur permettre de bénéficier d’un succès qu’ils méritaient. Toutefois, Uncle Anesthesia reste une bonne sortie qui leur a servi de tremplin pour atteindre leur âge d’or artistique. L’autre détail très appréciable étant cette pochette absolument faramineuse (Alice au pays des merveilles sous LSD ? Le genre d’image à faire fantasmer David Lynch).


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 10 déc. 2017

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