"les plaisirs de l'homme normal"
Pendant très longtemps, pour moi, Joy Division commençait et finissait avec Disorder.
Puis j'ai chanté Love will tear us apart sous la douche en pleurant, et les choses ont empiré (ou se sont améliorées, ça dépend du point de vue).
Disorder, c'est le morceau le plus beau du monde et l'essence même de ce qui fait la force de JD : des larmes de joie et des sursauts d'énergie dans la noirceur la plus absolue.
"I got the spirit, but lose the feeling"
Je sais pas trop d'où Ian Curtis vient, ni comment il voyait les choses, ça m'intéresse peu au final, les descriptions du personnage variant assez largement de 24 Hour Party People à Control. Un pauvre type ou un artiste, ni l'un ni l'autre et un peu des deux. Beaucoup de personnes se sentent comme ça, j'imagine.
Ils ont l'esprit et la lucidité, mais n'ont plus la force de vivre. ""I got the spirit, but lose the feeling"
La façon dont Ian Curtis répète "feeling feeling" à la fin est un de ces moments de JD dans lesquels on se dit que TOUTE la puissance musicale du groupe tient dans la voix du chanteur. Le feeling, l'émotion, ce qu'il n'a plus, ce qu'il ne ressent plus, tout est dans ce tremblement essentiel.
Son coeur est mort et il crie "feeling" alors que les instruments s'éteignent, sans trop savoir ce que ça signifie, ayant bien conscience que sa conscience, encore vivante, finira par l'étouffer.
Mais les sentiments, à l'intérieur, sont déjà dissous, et sa voix est un cri de la raison, un cri maladroit de la tête. Le cri pour le "feeling" n'est pas un cri du coeur.
La mélodie qui revient, un peu différente, chaque ligne, est, je sais pas, d'une simplicité remarquable et en même temps d'une force inépuisable. Comme ces trois accords incessants, cette batterie pressante, tout se précipite sans jamais s'entrechoquer, ou plutôt, si, Disorder est un morceau par essence perturbé, cassé, brisé, mais de manière subtile, sans que le groupe veuille nous dire "on va réinventer la structure de comment faire la musique, attention".
Les derniers roulements de batterie qui résonnent dans le vide sont comme les coups du docteur qui frappe à la porte du fou, mais le fou est dans sa tête et il n'a pas contact avec l'extérieur.
Je sais pas comment vous dire, des fois le monde est si noir, qu'il faut l'embrasser tel qu'il est, ne pas s'auto-persuader que tout va bien. Des fois, il est bon de s'abandonner au mal, pour ré-apprendre à ressentir comme aux premiers mois.
Et retourner à une vie plus simple, et essayer, avec le bout des lèvres bleues, de goûter aux plaisirs d'un homme normal.
Quant au reste de l'album, je crois que j'ai pas encore tout compris.