Chaque album de Modest Mouse est à la fois si proche et si différent du précédent, de sorte que l'évolution du groupe paraît tout aussi naturelle que déroutante. Naturelle dans le sens où le groupe semble se rapprocher sans cesse d'un certain idéal du rock mélodique efficace, du rock qui cartonne bardé de sonorités débordantes d'enthousiasme et de vitalité, de refrains accrocheurs et de mélodies entêtantes. Déroutante dans le sens où finalement rien ne semble jamais acquis dans la musique de Modest Mouse, et affirmer que le groupe s'avance dans une voie mainstream que beaucoup avant eux n'ont pas hésité à emprunter, attirés par la popularité et la facilité, serait aller un peu vite en besogne, tant l'univers d'Isaac Brock reste particulièrement étrange et perturbé, souvent foutraque, composé de pics intenses et visionnaires et de chutes vertigineuses qui nous entraînent dans des contrées que l'on ne visite chez aucun autre groupe.

C'est ainsi que We Were Dead Before The Ship Even Sank peut être considéré comme une suite logique du précédent album, en proposant une musique encore plus accrocheuse et accessible – en apparence - mais semble en même temps plus radical, plus complexe, plus dingue, fourmillant de parties de guitares dans tous les sens et de fractures rythmiques démentielles, en forme de montagnes russes incessantes. La chanson d'introduction, March Into The Sea, représente à merveille la dualité qui règne au sein du disque, avec son roulis électrique, son tempo brinquebalant, la rage du chanteur qui éructe une mélodie qui rentre dans la tête pour ne plus la quitter.

L'album est rempli de morceaux dans le genre, c'en est même impressionnant, avec des tubes comme Dashboard et surtout le génial Steam Engenius aux parties de guitare funky, sans oublier Florida, We've Got Everything et Education. Le groupe n'a pas oublié ses inspirations plus calmes et bucoliques et nous gratifie de chansons sublimes, à l'image de Missed The Boat (un de mes titres préférés de Modest Mouse qui respire la simplicité et la joie de vivre d'une manière si positive qu'elle met naturellement du baume au cœur), du mystique Parting Of The Sensory, du délicat Little Motel et de People as Places as People. On a sans doute affaire au disque de Modest Mouse le plus riche sur le plan mélodique, chaque chanson possède une particularité qui la fait briller au milieu des autres, ce qui n'était pas forcément le cas sur les deux précédents albums.

Certains morceaux semblent parfois un peu plus lourds, mais ils se rattrappent sans cesse par de petites trouvailles qui font que l'on a inévitablement de l'indulgence devant tant de générosité, que ce soit la force rageuse de Fly Trapped In A Jar, les passages planants de We've Got Everything ou l'entrain de Florida. La dynamique et l'expressivité outrancière des chansons peuvent parfois paraître gratuites, pour ne pas dire ostentatoires, mais la musique est parcourue par des soubresauts et une tension que le groupe n'a semble-t-il jamais perdus. Les morceaux sont toujours pervertis, la puissance viscérale cotoie la beauté onirique, de manière aussi évidente que décalée.

Des morceaux comme Fire It Up ou Parting Of The Sensory réservent des trésors de subtilité pour qui prend le temps d'écouter et d'apprécier le charme étrange et sensible de la musique. Et puis il y a Spitting Venom, un morceau de bravoure de huit minutes qui n'en a pas l'air, qui témoigne plus que tout autre morceau du cerveau toujours aussi dérangé et créatif d'Isaac Brock qui n'avait plus livré pareil titre depuis The Lonesome Crowded West (même s'il y eu Stars Are Projector sur The Moon & Antarctica). La progression de cette chanson, entre comptine foutraque, riff terrassant et envol mélodique épique imparable, situe, à mon sens, le niveau de l'album. Modest Mouse a en tout cas conservé suffisamment d'inspiration et d'intégrité pour oser composer un morceau aussi fort sans paraître présomptueux.

Le groupe est toujours aussi conscient de sa musique et de la direction dans laquelle il l'entraîne. Il m'arrive de penser que We Were Dead Before The Ship Even Sank est le meilleur album de Modest Mouse, mais un doute continue de susbsiter en moi car je reconnais volontiers que sa volubilité peut-être étouffante par instant : on a droit à une heure de tubes quasi non stop, durant laquelle les mélodies s'entrechoquent et hantent notre esprit le temps d'être remplacées par la suivante, sur un rythme qui ne prend le temps de respirer que lors des interludes plus posés, mais non moins mélodiques et obsédants. Le disque fait l'effet d'un énorme gâteau bien bourratif.

En comparaison, si Good News For People Who Love Bad News accuse par instant une baisse de régime, cet album a au moins le mérite de respirer et de paraître ainsi moins imposant et oppressant. C'est aussi à ce niveau que se situe toute la complexité de We Were Dead Before The Ship Even Sank. Le prochain album de Modest Mouse apportera sans doute un nouvel éclairage sur la question, si prochain album il doit y avoir (les années commencent à défiler).
benton
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le 7 juin 2012

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