Percussion [Solo] – Andrew Cyrille


Jimmy Lyons n’est pas le seul accompagnateur de Cecil Taylor qui a enregistré sur le label au bouddha, il sera précédé de quelques jours dans les studios par le batteur Andrew Cyrille qui va se lancer dans une performance en solo. Peut-être y-eut-il d’autres enregistrements comparables dans l’histoire du jazz, mais l’exercice, en cette année 69, n’est pas courant.


Une nouvelle fois Byg parie sur le risque et l’innovation en ouvrant les studios Saravah à l’un des batteurs les plus doués et innovant de sa génération. Andrew Cyrille partage avec Sunny Murray l’honneur d’être les seuls batteurs restés plusieurs années aux côtés de l’immense Cecil Taylor. La tâche n’est pas aisée, être un virtuose n’est pas suffisant, Cecil joue souvent de son piano comme d’un instrument percussif, élément central d’un tourbillonnement puissant. Il faut donc à la fois interagir au sein de l’orchestre, nourrir d’énergie la combustion rythmique, mais également être capable de se montrer fin et mélodique. Beaucoup d’intelligence est nécessaire pour se montrer convainquant aux côtés du maître. Andrew est tellement habile à ce jeu qu’il devient à lui seul une des clés ouvrant la porte d’entrée de la musique parfois ardue de Cecil Taylor. En se concentrant sur sa pulsation, ses bruissements rythmiques, ses roulements subtils, il vous emmène au cœur de la tempête, au milieu des vagues, emporté pour le meilleur dans un monde encore inconnu…


Incontestablement Andrew Cyrille est un grand, et sur cet album, il le prouve. Si vous êtes allergiques aux solos de batterie qui autrefois faisait partie intégrantes du show de tout groupe de rock sur scène, le plus souvent pour permettre aux autres membres du groupes d’aller se rafraîchir quelques minutes, rien n’est cependant perdu… Ici nous sommes assez loin des performances auxquelles le rock cantonne la plupart des batteurs. Elvin Jones est passé par là et a dynamité le rôle dévolu habituellement aux batteurs, les limites ont été sans cesse repoussées et Sunny Murray le premier est sorti définitivement de l’obligation d’assurer la pulsion rythmique en créant une nouvelle dynamique autour du jeu des cymbales.


Cinq morceaux ici sont joués avec cinq ambiances différentes. What about? est une démonstration éclatante d’une maîtrise exceptionnelle de l’instrument, le morceau ne cesse de surprendre, d’évoluer, de faire preuve d’une immense intensité musicale, chaque aspect de l’instrument est mis au service d’une dramaturgie d’une grande beauté, et l’on est surpris parce que l’on entend, tout ici est richesse et découverte, d’une grande délicatesse, et d’une grande subtilité …


« From Whence I came » sculpte le silence, intègre les sons de la voix, les bruits de gorge et les halètements qui accompagnent la résonance des tambours. L’ambiance évoque une sorte de « recueillement tribal », calme et apaisant.
Retour à la batterie et à l’improvisation sur « Rythmical Space », comme le nom l’indique nous voilà en plein cœur d’un jeu où les rythmes se croisent, se brisent, se font écho ou se contrarient, les peaux d’abord, puis les cymbales. Les idées fusent, s’emballent puis s’arrêtent tout à coup, avant de repartir vers une autre direction, délimitant un nouvel espace… « Rims And Things » explore les timbres et les sonorités, jouant par phases brèves des silences taillés et cisaillés. Mille variations infimes accompagnent ce vagabondage musical, innovant et truculent. La dernière pièce fait place aux sifflets, appeaux ou percussions qui se succèdent, grâce au re-recording, sur un fond sonore continu produit par le battement des baguettes sur la caisse claire.


Ce projet audacieux pouvait faire craindre le pire, mais à aucun moment l’ombre de l’ennui ne plane pendant l’écoute de ce bel album, il est au contraire très diversifié, d’une infini richesse rythmique et, étonnamment, d’une grande beauté mélodique.

Créée

le 7 mars 2017

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xeres

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