Wind’s Poem
7.4
Wind’s Poem

Album de Mount Eerie (2009)

Où Twin Peaks revêt son costume black metal

On l'a appelé le "Black Metal album".


Avant même que Wind's Poem ne sorte chez votre disquaire préféré, on jasait sur la nouvelle direction artistique prise par Phil Elvrum : dans des interviews récentes, il avait confié son nouvel enthousiasme pour la scène black metal, notamment Xasthur, et des extraits épars laissaient espérer du "lourd". Est-ce si absurde, de la part de la tête de Mount Eerie ? Oui et non. Car si l'on se figure comment le génie sonore de Phil pouvait profiter de la puissance du son "Black Metal", on imagine mal son songwriting touchant et sa voix fragile se frotter aux insanités rugissantes du genre impie. Le regard méfiant, les sourcils froncés, la bouche tordue en une moue sceptique, on a posé le CD dans le lecteur. Mais on avait tout faux. On avait oublié d'y aller à l'oreille...
Et la gifle fut à la hauteur de notre bêtise.


Parce que ce qu'on avait oublié c'était que Phil Elvrum, metal ou pas metal, était resté Phil Elvrum. C'est à dire ce grand enfant enthousiaste un peu peintre, qui n'hésite pas à tremper son pinceau dans la palette de son voisin s'il en apprécie la couleur. Et pour ce Wind's Poem, le Phil s'est contenté d'ajouter une couleur de plus sur sa gigantesque fresque.


"Wind's Dark Poem", qui ouvre l'album, a dû faire jouir les concierges, trop heureuses de voir leurs sombres fables se réaliser ; Phil Elvrum le fuzz-folkeux s'est mis au metal, attendez un peu que je raconte ça à mon hipster de mari ! Et il y avait de quoi ragoter à l'écoute de cette intro : une minute de guitare sur-saturée délivrée à fond les bananes. Mais dès que la voix enfantine d'Elvrum émerge derrière le mur du son, on réalise que ça va le faire. On réalise même que ce vacarme bruitiste est en fait une chanson, et une bonne ! Peut-être bien qu'on va y survivre, à ce disque.
Qu'à cela ne tienne, les onze minutes de "Through The Trees" nous annoncent que c'est l'inverse qui risque de se passer, que c'est peut-être ce disque qui va nous survivre et nous enterrer tous, nimbé dans la brume incertaine de l'intemporalité... Car ce n'est pas le metal qui est important ici. C'est le vent, qui ne donne pas son titre à l'album pour rien. Grand amoureux de la nature devant l'Éternel, Phil Elvrum nous conte le vent sous toutes ses formes ; en bourrasque ("Wind's Dark Poem") comme en brise ("Wind Speaks"), insidieux ("My Heart Is Not At Peace") ou entraînant ("Between Two Mysteries"), propre à vous glacer le sang ("(something)") comme à vous propulser dans les plus hautes cimes ("The Mouth Of Sky"). L'ambiance du disque change constamment, et les titres se succèdent telles des rafales de vent chaotiques, alternant distorsions torturées et pure majesté. La palme de la meilleure chanson revient à "Between Two Mysteries", sorte d'œil du cyclone au milieu de tant de tohu-bohu, où le thème de la forêt de Twin Peaks est sciemment repris (et cité dans les paroles). Son thème mystérieux, accompagné d'un marimba envoûtant et du chant complice de Phil, magnifie l'album et lui apporte une sérénité bienvenue.


En somme, c'est une fois de plus un beau bordel que nous livre là Mount Eerie. Décidé à ne pas nous faciliter la tâche, Phil brouille les pistes et profite de son concept pour nous assaillir de compositions noyées dans le brouillard ou la tempête. Wind's Poem, sauvage, ne s'apprivoise jamais vraiment, et c'est précisément ce qui le rend fascinant...


Chronique provenant de XSilence

TWazoo
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le 18 mars 2016

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T. Wazoo

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