Ceux qui tombent par hasard sur cet album le trouvent juste médiocre et n’en font pas tout un plat. Enfin, c’est la réaction normale je suppose.


Il faut avoir suivi passionnément la carrière de Marc Bolan album après album, interview après interview, avoir maniaquement reconstitué dans l’ordre les émissions de Top of the Pops entre 1970 et 1974, avoir frémi sans savoir si quelque challenger (Slade en général) n’allait pas voler la couronne, avoir hurlé de joie en entendant « Yes, it’s number one, it’s TOP OF THE POPS !!! » tandis que bondissait sur la scène la légendaire silhouette gracile pour porter, une fois de plus et triomphalement, le glam rock à bout de bras… pour trouver Zinc Alloy horrible, immonde, désastreux, insoutenablement vulgaire, cauchemardesque.


Il faut avoir vu Bette Davis en sorcière vieillissante dansant puérilement dans sa robe blanche de petite fille dans Whatever happened to Baby Jane ?, il faut avoir vu Gloria Swanson en ghoule auto-destructrice décoller complètement de la réalité dans Sunset Boulevard, il faut avoir une idée de ce que peut ressentir une star, une vraie, quand elle se retrouve jetée à la poubelle par un système plus cruel, plus vampirique qu’elle, quand elle sait sans savoir qu’elle n’est plus à la hauteur de ses propres attentes… pour trouver Zinc Alloy pathétique, terrible, impressionnant, grotesquement beau, bouleversant.


Nous sommes en 1974. T. Rex ne fait plus les charts, Marc Bolan qui en fait moins que jamais mais se vante plus que jamais exaspère la presse musicale, l’elfe pailleté a viré à l’orque boursouflé par l’alcool et la cocaïne, il se peinturlure et s’affuble de choristes braillardes et dépoitraillées, le fidèle mais avisé Tony Visconti a quitté après sept albums en commun un navire qu’il voit bien en perdition, John Peel qui l’a lancé, plus dur encore, le lâche en affirmant que « T. Rex ne jouera jamais qu’en seconde division »…


Seul maître à bord mais non de lui-même, Bolan accouche alors d’une consternante auto-parodie qu’il intitule Alliage de Zinc et les Cavaliers Cachés de Demain, battant tout comique qui aurait voulu le pasticher, mais aucun ne s’y risqua, la réalité de T. Rex défiant alors toute fiction.


Bolan chante paresseusement et parfois faux, des miaulements de chat écorché s’échappent de sa guitare, ses musiques sont pauvres et surchargées, ses textes recyclent des vestiges d’anciennes visions qu’il noie dans une nouvelle mythologie petitement intergalactique magnifiant les bandes de jeunes et empruntant à Star Wars, Star Trek et à des comics populaires tels que le Surfer d’Argent.


Mais Zinc Alloy ne serait pas le chef d’œuvre inversé qu’il est si Bolan n’avait pas tout misé, comme au casino, sur l’incroyable single Teenage Dream. Verhoeven pouvait aller se rhabiller d’avance, personne n’étalera jamais de façon aussi atroce tout le toc, tout le clinquant, toute la vulgarité décomplexée de Las Vegas. C’est là que Bolan s’épuise enfin, et d’un coup, à rechercher un son grandiose et des vocaux sophistiqués pour obtenir une horreur emphatique, grandiloquente et ridicule de presque 6 minutes, encore alourdie d’un final interminable. Et un n°13 à la roulette russe dans les charts en GB, malgré tout.


C’est là, aussi, que Bolan (se) pose la question, d’une ironie cinglante ou d’une tristesse infinie dans un tel contexte : Whatever happened to the teenage dream ? . Elle est obsédante. C'est le refrain.


Nul doute qu’elle a dû rencontrer plus d’un écho chez les moins dévots de ses fans.

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le 7 févr. 2017

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