Qui se soucie d'Alice Cooper en 1982 ? On est en pleine explosion des icones pop sucrées et fluo, le temps n'est plus aux tables ouija et aux guillotines ! De toutes façons, même Alice Cooper ne se soucie guère plus de lui même. L'alcool a totalement pris le pas sur sa création artistique et la dernière chose qui semble l'intéresser est sa carrière. Il enregistre pourtant, toujours chez Warner, mais plus pour très longtemps, ce "Zipper Catches Skin" aujourd'hui plus ou moins renié par le chanteur. Malgré le retour de Dick Wagner à la guitare (également guitariste pour le majestueux Lou Reed) le ton n'est pas tellement au rock acéré. Alice Cooper laisse de côté toute forme de maquillage outrancier ou de costume provocant pour poser en pseudo Brian Ferry ringard au dos de la couverture, chemise blanche, cheveux plaqués et cravate. En soi c'est presque un déguisement connaissant notre homme. Parlons de la couverture également, elle est particulièrement réussie et originale. On y lit diverses paroles de l'album, les mots "Zipper Catches Skin" (oui ça veut dire exactement ça, cf le petit clip promo pour l'album : http://www.youtube.com/watch?v=7b446bDv9Ek ) sont soulignés par une trace de sang et le nom du chanteur, lui, apparaît presque en filigrane rouge dans la partie supérieure de la pochette. En filigrane, c'est très judicieux tant le personnage semble absent de cet album.
"Special Forces" était très singulier dans l'oeuvre du Coop, mais il gardait cette méchanceté, ce côté belliqueux et énervé, ici, le ton est résolument moins rock, quasi pop ou variété, et le tout sous un angle résolument comique.
Pas la peine d'y aller par quatre chemins, cet album n'est absolument pas un chef d'oeuvre, musicalement il est plutôt peu inspiré comme on va le voir plus bas. Néanmoins, l'humour grinçant des paroles fait un peu plus que sauver les meubles, révélant une facette encore inédite d'un Coop au bout du bout.

Prends garde Monastorio, Zorro est de retour ! Du moins si on en croit ce premier morceau au titre évocateur de "Zorro's Ascent". Le justicier masqué évoque ses exploits avec arrogance au moment de son agonie. Avec son rythme enlevé, son côté récité plus que chanté et ses guitares hispanisantes, l'ambiance est posée et on se croirait tout à fait au beau milieu....d'un chanson d'Adam Ant ! Façon "Stand and Deliver" avec les mêmes élans néo-romantiques jusqu'à la pointe de l'épée, on est assez loin du répertoire habituel d'Alice Cooper. Le son est comme pour "Flush the Fashion" très marqué par les synthés définissant d'emblée l'orientation de l'album. C'est plutôt drôle cependant, et se représenter le chanteur sous le costume de Zorro ne demande pas tant d'imagination que ça.

Autre chanson, autre personnage populaire, c'est ce vieux pingre de Scrooge qui a droit à son morceau avec "Make that Money (Scrooge's Song). On y écoute la confession de l'avare, racontant sa jeunesse très dure marquée par un père abusif (tiens tiens) et un apprentissage précoce de la valeur de l'argent. Ici les guitares sont plus acérées, on revient un peu au rock sans pour autant oublier les synthés, époque oblige, lors des refrains. Alice semble se plaire dans la peau de ce détestable personnage. Agréable, la chanson ne restera pas gravée dans les mémoires il faut le reconnaître.
On part dans une autre direction avec l'étrange et présomptueux "I am the Future". A l'époque le futur est une donnée plutôt incertaine pour un chanteur en forme d'épave, pourtant il claironne ce titre en forme de slogan d'un bout à l'autre du morceau. Les synthétiseurs sont majoritaires, comme pour souligner la notion de futur (ben oui dans le futur il y aura des voitures volantes et des synthés, aussi, tout le monde portera des vêtements en aluminium, c'est comme ça). Ce morceau reste particulièrement dans la tête après écoute, oh il est aussi particulièrement kitsch, mais avec ce côté attachant qui fait qu'on y revient volontiers, enfin pour ma part. Il s'agit par ailleurs d'une chanson déstinée au film "Class of '84" composée par un certain Lalo Schifrin, dont il constitue le générique de début. Le morceau s'enchaîne directement avec le suivant "No Baloney Homosapiens", toujours dans les même teintes pseudo futuristes mais cette fois avec un souffle nettement plus rock, presque glam même ce qui n'est pas pour me déplaire. Les paroles quant à elle sont pour le coup hilarantes. Il s'agit d'un message qu'adresse le chanteur à d'éventuels visiteurs extra-terrestres. Il fait de son mieux pour décrire notre espèce tout en mettant en garde les aliens, il s'agit de ne pas nous manger ! (et nous ne les mangerons pas non plus en échange de bons procédés). Le "baloney" étant une sorte de saucisse proche de la mortadelle populaire de l'autre côté de l'Atlantique, on regrette que cette mention n'ait pas été ajoutée à la sonde Pioneer, ça aurait gagné en clarté.
"Adaptable (Anything for you)" amorce une série de trois chansons plus rock, un peu punk même dans l'utilisation de riffs simples mais tranchants ainsi qu'un rythme plus soutenu. Le chanteur y fait une déclaration inconditionnelle mais exagérée à une éventuelle conquête. Il lui révèle en long et en large ses capacités d'adaptation (belle déduction vu le titre) ainsi que tous les sacrifices, ridicules pour la plupart, qu'il serait prêt à faire pour elle. Sur le même rythme et en toute logique "I Like Girls" vient expliquer d'où vient ce dévouement total dont on commence à contester la sincérité étant donné qu'il semble s'appliquer à une liste conséquente de prénoms féminins. Les guitares sont toujours sortie, mais ce n'est pas très violent. On reste dans une sorte de punk FM très 80s. Non pas que ça soit désagréable, mais on attend un peu plus d'audace de la part d'un parrain du shock rock. Les paroles sont une nouvelle fois très drôles, avec cet alternance entre un séducteur arrogant et ambitieux et une jeune femme de plus en plus sarcastique. La voix féminine est celle de Patty Donahue, chanteuse du groupe new-wave The Waitresses, elle ponctue, dubitative, la narration des exploits de celui qu'elle surnomme "Valentino". Ce morceau renoue avec cet humour auto-dépréciatif qui sous tend une bonne partie de la carrière d'Alice Cooper, cette fois par l'opposition de deux points de vue radicalement différents. "Remarkably Insincere" conclut cette mini trilogie du séducteur un peu minable avec une énergie renouvelée. Comme les meilleurs morceaux de "Special Forces" le temps est à un rock mécanique mais urgent, à la rythmique très marquée, et, oui, un peu punk. Pour ce qui est du sujet, il s'agit plus ou moins de la réponse excédée du personnage présenté dans les morceaux précédents, se décidant à jouer cartes sur tables avec une mesquinerie jubilatoire. "If I would rate you, not that I hate you, but you would end eighth, maybe nineth in your class".

"Tag, you're it" est un retour aux ambiances noires, parcourues par des tueurs psychopathes que le chanteur aimait tant évoquer par le passé. Une certaine Debbie est traquée par un homme, vraissemblablement armé d'une paire de ciseaux, dans une meurtrière partie de cache-cache. Plus sombre que les autres morceaux, on retrouve avec plaisir un personnage qui n'aurait pas dépareillé aux côtés de ce cher Steven, période "Welcome to my Nightmare", même si mélodiquement on est bien loin des merveilles ciselées à cette époque bénie. Ici les sonorités sont toujours très marquées par leur époque, avec un rythme soutenu épousant celui de la course poursuite. Avec un traitement plus poussé, le morceau aurait gagné en noirceur, l'idée y était mais on passe malheureusement un peu à côté de la réussite complète.
"I Better be Good" rompt l'ambiance, avec un rythme éffréné, encore un peu comme sur "Special Forces" tandis que nous tombons dans la comédie la plus totale. Le personnage de la chanson évoque les choses à éviter quand on est supposé bien se conduire. C'est dans ce morceau qu'on trouve le titre "Zipper Catches Skin" lors d'une phrase d'une rare sagesse : "If zipper catches skin I know I had it out when I should've kept it in". Honnêtement, j'ai toujours été amusé du fait qu'on trouvait énormément à redire des allusions morbides qui peuplent les albums d'Alice Cooper, alors que ceux ci sont également généreusement pourvus en allusions grivoises plus ou moins subtiles. Je ne pouvais donc pas ne pas être très amusé par ce morceau qui finit dans le sang, pas pour le mêmes raisons que d'habitude.
Puisque cet album c'est un peu n'importe quoi, alors finissons en beauté avec l'absurde "I'm Alive (That was the Day my Dead pet Returned to Save my Life)", quel titre ! Le morceau est hystérique, tant dans ses images que dans son instrumentation lancée à toute vitesse. Encore une fois, rien de particulièrement mémorable, mais la sensation d'avoir entendu quelque chose qu'on n'est pas certain de pouvoir définir.

Et c'est exactement ce que laisse ressentir cet album. On se dit que c'est vraiment la foire ! Il y a bien une certaine cohérence entre "I Am the Future" et "No Baloney Homosapiens" ainsi qu'une sorte de suite entre les "Adaptable", "I Like Girls" et "Remarkably Insincere" mais globalement on sent bien que tout cela a été agencé à la va vite histoire de sortir un album. Loin d'être désagréable, l'album est plutôt court et s'écoute facilement. Néanmoins, s'il fallait conseiller un album pour découvrir Alice Cooper, alors celui ci pourrait attendre patiemment en fin de liste. Pour ma part, je le trouve attachant pour son côté humoristique et débraillé tout en étant une illustration concrète de ce qui se passe quand un artiste perd totalement le fil de sa création. Avec du recul, cette carrière en dents de scie, artistiquement comme commercialement, a de quoi fasciner et "Zipper..." en constitue nettement l'un des creux les plus marqués. Sa pochette cryptique n'aidera pas non plus à le mettre en évidence chez les disquaires. Sous l'impulsion de l'héroïque Bob Ezrin, Alice Cooper se ressaisira avec un "DaDa" dans lequel il s'impliquera nettement plus, même s'il faudra encore attendre pour que le succès commercial soit de retour.

Créée

le 9 janv. 2014

Modifiée

le 13 janv. 2014

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I Reverend

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