He knew where Syd Barrett lived (and John, and Paul, and a few others)

« En face de ce désert transfiguré je me souviens des jeux de mon enfance, du parc sombre et doré que nous avions peuplé de dieux, du royaume sans limite que nous tirions de ce kilomètre carré jamais entièrement connu, jamais entièrement fouillé. Nous formions une civilisation close, où les pas avaient un goût, où les choses avaient un sens qui n'étaient permis dans aucune autre. Que reste-t-il lorsque, devenu homme, on vit sous d'autres lois, du parc plein d'ombre de l'enfance, magique, glacé, brûlant, dont maintenant, lorsque l'on y revient, on longe avec une sorte de désespoir, de l'extérieur, le petit mur de pierres grises, s'étonnant de trouver fermée dans une enceinte aussi étroite, une province dont on avait fait son infini ? » (Saint Exupéry - Terre des hommes)


L’erreur, c’est de longer le mur. Il faut passer à travers, et c’est ce que fait Jupiter Maça.


Jupiter vient du rock gaucho, autrement dit de ces groupes brésiliens originaires de Rio Grande do Sul, la région de Porto Alegre, qui ont découvert et pratiqué la pop et le psychédélique dans les années 60, puis le punk dans les années 80, sans grands égards pour les musiques de leur propre pays pour ce que j’ai pu en écouter. Son groupe, Os Cascavelletes, jouait un punk mâtiné de surf et de rockabilly qui n’a cassé trois pattes à aucun canard.


Mais c’est son fun énergétique et j’m’en foutiste qui ébouriffe constamment le psychédélisme de A Setima Efervescencia et fait de Jupiter Maça un Traveling Wilbury du temps qui pogote entre 1967 et 1977, entre complexité et amateurisme, entre décollant et déconnant, entre çà et là, prenant le thé avec Paul Mc Cartney, le LSD avec Syd Barrett et l’anarchie avec John Lydon.


Car, oui, Jupiter n’est ni un sous-doué ni un modeste, il veut vous en foutre plein la vue et il le fait. Si bien qu’à première écoute et selon votre humeur, A Setima Efervescencia peut vous apparaître comme un foutoir sans maîtrise d’influences mal digérées ou un ahurissant, éblouissant et luxuriant festival de groupes qui ont à la fois tous et jamais existé. Vous voulez en rester au foutoir ? Tant pis, vous resterez avec ceux qui longent le petit mur de pierres grises.


Depuis qu’on a repeint la New Wave en « post-punk » (pouah), la fixation générale sur la rose des vents psychédélique n’égale que l’incapacité absolue à la faire pousser. Elle meurt à peine éclose dans l’air vicié de l’époque actuelle qui rend tous les jardiniers vieux et moches. Prenez Syd Barrett, la principale influence de cet album (car, oui, il y a un ordre et des préséances sous le foutoir). Il a eu son herméneute en Angleterre, Dan Treacy de TV Personalities. Et qu’en a-t-il fait ? De la déprime, de la fragilité et de la déprime. Sauf dans un morceau, intitulé, justement (et justement intitulé) : I know where Syd Barrett lives. Il le savait, je n’en doute pas. Mais il est resté chez lui, dans les 80’s, et il n’a voulu visiter que la sombre pièce où Syd restait reclus.


Jupiter, lui, il est dans le jardin plein de vapeurs et d’arômes où Syd rêvait, s’émerveillait, voyageait et, ben oui, rigolait. Quand il y est, soit une fois sur deux dans les dix premières plages (As Tortas e as Cucas, Pictures and Paintings, Walter Victor et Sociedades Humanóides Fantásticas). Et alors il est en 67, paf, d’un coup, et on y est avec lui.


Trois plages seulement pour les Beatles (5, 7 et 10), mais ce sont, littéralement, trois suites royales, puisqu’en trois morceaux bâtis chacun sur une seule filiation reconnaissable on se prend en pleine poire la quintessence de trois périodes : Eu e Minha Ex, c’est Penny Lane, All you need is love et I am the walrus autour de la fille d’Eleanor Rigby (y’a pas mieux dans l’album, cherchez pas) ; As Outras que Me Querem, c’est I wanna hold your hand, She loves you ET From me to you ; Miss Lexotan 6mg Garota, c’est surtout And I love her, mais aussi Girl et Here there and everywhere.


Bon, et quant aux morceaux restants, ils ne doivent rien à personne, ou ils doivent tout à tout le monde. (Canção para Dormir étant l’unique et somptueuse concession à la musique brésilienne)


Des foutoirs comme ça, on peut m’en servir tous les jours…


Mais plus que le plumage bariolé de A Setima Efervescencia, son vrai miracle, c’est son absence totale de formol ou de taxidermie. A chaque morceau, Jupiter Maça est un citoyen de l’époque qu’il chante, parce que sa musique est foncièrement joyeuse, insouciante, heureuse, bronzée aux rayons cosmiques sans UV. VIVANTE.


Picasso disait : « Je ne cherche pas, je trouve », et c’est exactement ce que fait Jupiter Maça.

OrangeApple
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Albums, Grosses claques et Les meilleurs albums de rock alternatif

Créée

le 28 sept. 2017

Critique lue 188 fois

10 j'aime

13 commentaires

OrangeApple

Écrit par

Critique lue 188 fois

10
13

Du même critique

Whiplash
OrangeApple
9

Le sens du martyre

(Attention, SPOILS en nombre vers la fin – inséparables de l’analyse) Terence Fletcher, c’est l’anti-John Keating. Il n’encourage pas l'épanouissement des personnalités, il les rabaisse, il...

le 17 mars 2017

37 j'aime

10

Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band
OrangeApple
10

Ceci n’est pas une critique

When I was younger, so much younger than today, ma cousine, cinéphile distinguée mais pas vraiment versée dans l’art musical, m’a emmené voir Help !, le film. J’ai ri comme un bossu sans vraiment...

le 4 oct. 2016

29 j'aime

7

Easy Rider
OrangeApple
4

Darwinisme

S’il y a bien un argument que je trouve idiot et dont je n’use jamais contre une œuvre, c’est : « Elle a vieilli ». Elle est bien ou elle est pas bien, je l’aime ou je l’aime pas, si qu’on s’en fout...

le 3 sept. 2017

23 j'aime

14