William Basinski. Artiste sonore manipulateur de bandes audio. Expérimental, dit-on. Je rétorque : il sait ce qu'il fait. N'aime rien tant qu'enregistrer des boucles. Les regarde se dégrader dans le néant. En a tiré une série de 4 albums, les Disintegration Loops. Hommage au 11 septembre, réflexion sur le traumatisme et les voix qui s'éteignent. Peu connaissent vraiment le reste de sa carrière. Moi non plus. Et puis quoi. David Bowie s'éteint. Deuil mondial. On ne trouve pas les mots. Un an passe, Basinski annonce un hommage. Balèze pour capitaliser sur la mort d'autrui décidément. Je déconne, c'est beau.


Des voix s'élèvent dans l'assistance. "Ça me fait pas penser à Bowie". Et alors. Tu t'attendais à ce qu'il sample "Heroes" et "Let's Dance" ou quoi ? A Shadow in Time. On y parle pas de Bowie. On y parle pas de sa mort. On parle d'un deuil. De ceux qui sont encore là. Celui de William.


Triste le William. Sur "For David Robert Jones", une chorale funèbre. Lointaine. Lo-fi. 8 secondes, en boucle. De loin, quelle beauté. Encore plus au loin, un drone douloureux. Presque indiscernable. Et puis, le choc. 6 minutes, irruption du sample. Fracas d'une violence inédite. Un saxophone étranglé. Plainte d'un cuivre à l'agonie. La chorale tient bon, immuable jusqu'au bout. Il faut bien continuer à vivre. Même quand la mort frappe très près. William s'expose. Nous expose, à sa douleur. Il faut faire avec le saxo. Qui ne veut pas s'arrêter. Impossible à ignorer. La chorale est polluée pour de bon. La chorale, le saxo... les deux sont déphasés. Mais les deux doivent faire un. Impérativement. Démerdez vous, dit William.


L'écoute est douloureuse. Est censée l'être. Douleur, effort nécessaire. Il faut trouver la beauté dans la cacophonie. Pour ne pas subir. Être acteur de sa souffrance. Auteur de sa rééducation. Le saxo bouge toujours. Évolue. Se module. Se transforme. S'allonge. S'installe. À nous de s'installer avec lui. Ou décider que non. Accepter de voir la beauté dans le morceau. Ou la rejeter. L'un comme l'autre... ça va. Il faut juste décider. Car le saxo ne partira plus.


La mort a frappé. Bowie fait dévier William. Hors de son orbite, adieu les boucles. "A Shadow in Time" ? Inédit. William compose ! Structure ! Adieu les boucles. Des drones se développent. Des infrabasses pulsent. Une rivière qui coule, au loin. Un piano solitaire. Des mouvements. Des parties et leurs sous-parties. William construit. Une jungle minimaliste. Comme libéré de ses contrainte. Libre de ne plus répéter.


A Shadow in Time. Avant tout, un témoignage. Du deuil. D'un long processus. Qui fut celui de William. Qu'il partage. Comme il peut. Avec sa ponctuation rigide. Son vocabulaire sommaire. Face à l'inarticulable... la mort. On perd ses mots, dit-on. Mais le disque n'est pas sur le langage perdu. Le contraire même. Les mots sont enfin trouvés. Enfin, William ose la syntaxe.


Chronique provenant de XSilence

TWazoo
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le 15 févr. 2017

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T. Wazoo

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