Aftermath
7.6
Aftermath

Album de The Rolling Stones (1966)

Si les Stones se sont d'abord fait connaitre grâce à plusieurs reprises de standard de blues, rhythm and blues et rock (Come On, Around and Around, Little Red Rooster...), ils commencent vraiment à prendre leur envol avec la chanson Satisfaction, qui sortira en 45 tous en Angleterre et dans l'album Out of our Heads aux USA. Satisfaction, avec The Last Time peu de temps avant, marque un vrai tournant dans la carrière des Stones, celui où ils vont peu à peu abandonner les reprises aux profils de compositions personnelles. Ce tournant est concrétisé par Aftermath, premier album où toutes les chansons sont signées de Mick Jagger et Keith Richards, album enregistré pendant de nombreuses et épuisantes tournées à travers le monde.


D'abord il faut savoir que ce n'est qu'à partir de Their Satanic Majesties Request en 1967 que les albums sont les mêmes aux USA et au Royaume-Uni. Dans le pays de l'oncle Sam, ils avaient coutume d'inclure les singles aux albums, contrairement à l'Angleterre, où les albums ne comprenaient pas les singles. Alors c'est souvent le bordel pour s'y retrouver car les USA enlèvent aussi quelques autres titres et n'en contiennent, dans le cas d'Aftermath, que 11, soit 3 de moins que l'édition britannique. Aujourd'hui ce sont les éditions américaines qui sont rentrées dans l'histoire et les albums sont réédités de cette façon là et on y trouve que Paint It Black comme nouveauté par rapport à l'édition britannique. Dans cette dernière, Mother's Little Helper (et c'est bien dommage qu'elle ne soit pas présente dans l'édition USA celle-là), Out of Time, Take it or Leave it ainsi que What to Do sont présentes en plus. On peut notamment les retrouver dans la compilation Flower (sauf What to Do) qui contient plusieurs chansons du groupe qui ne sont pas sorti dans les albums "officiels" américains.


Aftermath représente l'apogée de l'apport et l'influence de Brian Jones au sein de son groupe. Jusqu'à Their Satanic Majesties Request il aura une influence considérable, notamment dans la sonorité et le style, après ça il connaîtra un déclin, l'éviction de groupe et la mort dans sa piscine chez lui en 1969. Peu à peu les Stones tourneront un peu plus pop et expérimental sous son influence, avant de revenir vers un son bien rock, blues et épurés avec le fantastique Beggars Banquet. C'est à travers quatre chansons que le sommet de Brian Jones se ressent le plus. D'abord le hit de l'album et encore aujourd'hui l'une de leurs chansons les plus connus à savoir le brillant Paint it Black. La passion de Brian Jones pour l'exotisme lui a fait ramener un sitar des Fidji et l'associe à merveille avec la guitare de Keith Richards pour donner cette mélodie mémorable, que Jagger ne manquera pas de sublimer avec sa voix unique et les variances de tons qu'il impose. Pour l'anecdote, ils connaîtront une petite polémique avec ce titre, leur manager Odlham avait, à la base, rajouté une virgule au titre, ça donnait Paint it, black, ce qui fut traduit par des activistes noirs américains "Paint it, nigger", avec un caractère raciste à la clé (ce qui, à l'écoute des paroles, est bien évidemment faux).


Brian Jones sublime aussi Lady Jane avec un dulcimer électrique, magnifique chanson des Stones, l'une de leurs plus belles et une de mes préférés (qu'ils ne rejoueront plus entre la mort de Brian Jones et 2012). Les instruments viennent au fur et à mesure, il n'y a aucune basse et batterie, juste Brian Jones, Keith Richards qui tient l'acoustique ainsi que Jack Nitzche au clavecin. En plus de la mélodie et de la parfaite osmose entre les trois instruments, c'est le chant de Jagger qui est sublime, montrant clairement qu'il était l'un des plus talentueux à travers cette chanson où il évoque les amours élizabéthaines. Toujours dans sa recherche de nouvelle sonorité, Brian Jones utilise un marimba sur la géniale Under My Thumb. Comme le montre cette chanson, les Stones n'ont jamais été autant créatif auparavant, inspirés ils écrivent des mélodies mémorables, débordent d'idées et le tout était sublimé par le chant de Jagger où ici, inspiré par sa copine de l'époque, livre un texte légèrement misogyne (mais surtout très léger et ironique) sur la satisfaction des hommes a maîtriser les femmes. En tout cas, et comme les deux cités précédemment ça donne l'un des sommets des Stones période Brian Jones. Et enfin l'album américain se clôt sur les 11 minutes de Goin' Home où le groupe livre le premier morceau de rock a dépassé les 10 minutes, marqué par les expérimentations, l'harmonica et le chant de Jagger et divers changements de tons. Bien que légèrement trop longue, elle n'en reste pas moins intéressante à plus d'un titre.


Jusque-là, c'est génial et les Stones sont au sommet du Swingin' London, pourtant ce n'est pas non plus le chef-d'oeuvre des Stones (qui sont pour moi durant l'âge d'or de Beggars Banquet compris jusqu'à l'immense Exile on Main Street), la faute notamment à une succession de chansons loin du génie des Stones, notamment sur la face B. Alors strictement rien à jeter, bien au contraire même mais des titres comme la ballade I'am Waiting ou le folk High and Dry sont plutôt sympathiques mais loin d'être transcendants et surtout loin des meilleures chansons de l'album et ce malgré le très beau solo d'harmonica de Jagger dans High and Dry. À côté de celle-là il nous offre un peu de pop avec Stupid Girl et son refrain entêtant ou l'efficace It's not easy. Aftermath réserve tout de même quelques belles surprises comme le bluesy Doncha Bother Me avec son intro très "saloon", le très bon Think ou encore Flight 505 et son intro au piano classique avant d'entrer dans un ton plus rhythm and blues. Trois chansons que j'adore, peut être pas au même titre que Lady Jane, Under My Thumb voire Paint it Black mais qui font partie des sommets des Stones période Brian Jones. C'est aussi pour une des premières fois où on a l'impression d'avoir à faire à une vraie conception d'album et non quelques singles avec des titres enregistrés vite fait pour atteindre une durée correcte, ça se ressent dans l'atmosphère de l'album où l'on entend des Stones cherchant à encore plus élargir leurs horizons musicaux. Ce sera d'ailleurs confirmé par les deux prochains albums de la troupe à Jagger (Between the Buttons & Their Satanic Majesties Request), deux albums où les racines blues du groupe seront éloignées avant de revenir au premier plan lorsque Jagger et Richards prendront vraiment le contrôle artistique.


La version anglaise retire donc Paint it Black au profil des quatre autres titres et c'est vraiment préjudiciable pour Mother's Little Helper. Portrait d'une femme au foyer, il bénéficie d'une créativité hors pair associé au sitar de Brian Jones et à la voix de Jagger. D'ailleurs c'est un titre qui montre toute l'assurance de Charlie Watts et Bill Wyman à la rythmique, ce dernier ayant d'ailleurs souvent participé à la composition de chansons sans être crédité. La chanson pop et légèrement expérimentale Out of Time est plutôt sympa et marrante tandis que Take it or leave it est vraiment oubliable, tout comme la très pop What to Do, deux titres qui, sans être désagréables, sont très anecdotiques. D'ailleurs What to Do ne sera même pas dans Flowers, on peut par contre la retrouver dans More Hot Rocks. Dans les deux versions de l'album il y a un certain manque, notamment Paint it Black d'un côté et Mother's Little Helper de l'autre. Une version "hybride" des deux aurait été parfaite mais on tient tout de même là le sommet créatif des Stones période Swingin' London et mon album préféré de cette période avec 12x5 (qui lui est plus dans une veine blues et rhythm and blues) et surtout December's Children (And Everybody's).


L'album de la maturité pour les Stones, celui où ils abandonnent les reprises pour pleinement se consacrer aux chansons originales. Le virage est réussi et marque l'apothéose créative de Brian Jones au sein des Stones, celui où son apport est considérable comme en témoignent certains sommets du groupe comme Lady Jane ou Under my Thumb. Après cela il continuera d'apporter énormément aux Stones dans les deux prochaines productions studio du groupe avant que Keith Richards et Mick Jagger ne reviennent aux racines du groupe, que lui s'en éloigne et fini par décéder le 3 juillet 1969... Tout est allé si vite...

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le 18 avr. 2015

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Docteur_Jivago

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