Baby Driver est une chorale, une sorte de « comédie musicale post moderne ». Pendant que les drifts font crisser les pneus sur le bitume, la bande sonore du film d’Edgar Wright fait vivre la caméra, et les mélodies font s’emboiter les plans les uns avec les autres. De toutes les œuvres vues cette année, Baby Driver est l’une de celles qui fait le mieux vivre la musicalité en son sein. La caractérisation des personnages, leurs actions, la réalisation, le montage, tout passe par leur enchevêtrement avec une bande sonore dont la prégnance fait toute la virtuosité et l’originalité d’une œuvre à la dynamique captivante.


Car même si le film s’avère parfois léger dans sa puissance dramatique, le fil rouge thématique musical prend tout son sens. Une comparaison vient rapidement en tête mais parait tellement évidente qu’elle en est inévitable : celle entre Drive et Baby Driver. Nicolas Winding Refn voulait faire de son Driver, un mec qui déambule la nuit, dans sa voiture, en écoutant de la pop music. Baby Driver tombe également dans cette idée, celle de mettre sur un même piédestal le fait d’écouter de la musique pop et de conduire à toute berzingue. Mais le cinéaste danois se servait de la musique comme pur instrument auditif, à la fois pour adoucir la pesanteur de son film et dévoiler les émotions de ses personnages.


Le réalisateur britannique, lui, va plus loin dans sa démarche : la bande sonore n’est pas un personnage du film mais devient presque le script du film : atteint d’acouphène après un accident lors de son enfance, Baby écoute toujours des chansons avec ses multiples Ipod. Toujours avec ses écouteurs sur les oreilles, il vit au rythme d’une bande son rock/blues qui swingue à mort. Il marche en dansant, il parle en écoutant de la musique et suit les ordres de ses comparses sous les vibrations des beats et ; surtout, il ne conduit jamais sans une ribambelle de chansons. Pour sentir le pouls de son environnement, et pour surtout être dans le même tempo, pour s’accorder avec le rythme inhérent aux mélodies, qui devient par la même occasion, le rythme d’action et le leitmotiv de son personnage principal.


Les chansons qu’il écoute ne sont pas simplement une possibilité de rêvasser : c’est pour lui au contraire une façon de rentrer dans le monde réel et aussi, malheureusement, de ressasser des souvenirs dévastateurs. Il aime enregistrer les discussions des autres pour les agencer en chansons sous forme de cassettes. Comme cet exemple frappant, où Baby rate le début de la chanson alors qu’il commence un braquage, et revient en arrière pour permettre à ces collègues braqueurs de commencer leurs pillages. Baby Driver est un long métrage qui transpire l’envie de faire cohabiter les mélodies avec ses personnages. La bande sonore, où l’art musical en général, sert de vecteur narratif au récit, car il décrit les émotions de ses protagonistes mais sert aussi de force centrifuge à la mise en scène. D’ailleurs, l’histoire d’amour vécu entre Baby et Deborah prend naissance alors que cette dernière chantonnait dans son coin. Sans parler du fait que la mère défunte du personnage était aussi chanteuse.


Baby Driver est un hymne à cet Hollywood, à une forme de musique aussi populaire qu’intime. Baby Driver n’est pas un produit commercial qui distille des immenses tubes pop comme pouvait le faire le désastreux Suicide Squad pour cacher la médiocrité du résultat final. Ni un produit qui joue sur la fibre nostalgique comme peut le faire les Gardiens de la Galaxie pour se donner une image « cool ». Non Baby Driver montre un véritable amour pour une bande sonore éclectique qui se superpose toujours à la situation en question, modulant sans vergogne la rapidité du montage et la tension même instituée par la séquence. Dans Baby Driver, les partitions sont les yeux de la caméra du film et les mélodies sont les mouvements du cadre : la bande sonore du film ne sert pas uniquement à donner une énergie à la scène mais devient la structure composite même de la séquence, comme durant les premières minutes du film qui nous présentent la première scène de braquage et de fuite. Comme avait pu le faire Drive de NWR. Chaque chanson donne un sens à la scène qu’elle accompagne , comme si le film était écrit comme un album de musique. Même si l’omniprésence de la BO peut en gêner certains, Baby Driver ne tombe jamais dans le piège du clip show, où la chanson ne sert que de décoration contemplative ou atmosphérique au métrage. Il est rare de voir des films qui utilisent la musicalité de façon aussi littérale.


Car même si La La Land était une très bonne comédie musicale avec tout ce que cela comporte et même si Song to Song y allait de son point de vue sur l’univers du rock contemporain, Baby Driver passe la cinquième et crée une vraie dynamique filmique et une juxtaposition parfaite entre le rythme sonore et le montage scénique : que cela soit durant les scènes de conduite ou même durant les scènes d’expositions des personnages. A ce moment là, le personnage est à l’image de son métrage : l’un et l’autre ne peuvent pas vivre sans chansons et ne peuvent passer les vitesses qu’en suivant les pulsations de ses « songs ».


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le 20 août 2017

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