Benji
7
Benji

Album de Sun Kil Moon (2014)

Le folk sombre avec l'album Benji de Sun Kil Moon

Sun Kil Moon est le projet solo de Mark Kozelek, ancien membre du groupe d'indie rock Red House Painters, et dont la carrière semblait stagner depuis quelques années malgré les jolis succès d'estime de ses premiers albums. Benji est son sixième LP et probablement le tournant de sa carrière. L'artiste originaire de l'Ohio nous propose ici une oeuvre longue, émouvante et d'une simplicité brute, qui pourra perturber certains et fortement plaire à d'autres, surtout ceux en quête d'originalité. Ici, pas d'artifice, on a à faire à de la folk pure, de la guitare et des textes forts. Mark Kozelek nous parle ici de sujets concrets et surtout personnels: la famille, l'amour, l'amitié, et enfin et surtout la mort, qui reste le thème majeur de l'album. Vous êtes prévenus.

Le premier morceau annonce la couleur, "Carissa" évoque le décès d'une cousine du chanteur en Ohio, obligeant le chanteur basé aujourd'hui à San Francisco de revenir sur ses terres. Face à cette mort soudaine et accidentelle, Mark Kozelek est désemparé et nous le fait comprendre à travers une longue chanson tragique et existentielle. Toujours dans le thème familial, le chanteur folk rend hommage à ses parents dans "I can't live without my mother's love" et "I love my dad". Si la première est très mélancolique et douce, traduisant l'amour qu'il a pour sa mère, la deuxième est plus pêchue et plus brute, plus représentative d'une relation père-fils bâtie au fin fond de l'Ohio. Toujours dans le thème de l'amour, le très tranchant "Dogs" (nommé en référence à la chanson des Pink Floyd inclus dans l'album Animals) mentionne dans un ordre chronologique les relations importantes qu'a connues le chanteur avec les femmes, du premier baiser à sa première véritable histoire d'amour en passant par différentes expériences sexuelles. Une nouvelle fois, le pessimisme ambiant se fait ressentir tant le compositeur se sent impuissant face à la complexité des relations amoureuses.

La mort et le morbide planent au dessus de Benji, et on atteint des sommets de folk macabre avec "Richard Ramirez died today of natural causes" sur la mort par "causes naturelles" du terrifiant serial killer Richard Ramirez qui terrorisa l'Amérique au milieu des années 80, et "Jim Wise" évoquant un ami de son père qui tua sa femme malade et rata ensuite sa tentative de suicide (!). Sur "Pray for Newtown", Mark Kozelek évoque (encore) de nombreuses tueries qui ont eu lieu aux Etats Unis, de celle de San Ysidro à celle, plus récente, de Newtown dans le Connecticut. L'artiste fait honneur aux victimes et dresse une analyse assez sombre de son pays "It was everyday America and that's all." L’accélération du rythme aux trois quarts de la chanson est un vrai délice pour les oreilles et évite à l'auditeur de se morfondre face à tant de tristesse et de noirceur.

La chanson la plus surprenante de l'album est probablement "Micheline", divisée en trois parties distinctes qui semblent n'avoir aucun lien. Le premier couplet parle de Micheline, une voisine d'enfance handicapée mentalement au destin tragique. Le deuxième couplet évoque un ami d'enfance également, joueur de guitare et dont la vie se termina prématurément. Enfin, la troisième partie est un hommage à la grand mère de Mark Kozelek mais est surtout l'occasion de replonger dans l'enfance et dans les souvenirs californiens de l'artiste, remplis de véritables madeleines de Proust (dont le film Benji qu'il était allé voir enfant et qui l'a marqué au point de nommer l'album de la même façon)

L'album se conclut en beauté avec l'extraordinaire "Ben is my friend", sorte d'hommage à son ami Benjamin Gibbard (l'homme derrière Death Cab for Cutie et The Postal Service) et surtout chanson la plus rythmée, possédant des riff de guitares espagnoles et du saxophone, magnifiant l'ensemble (et nous faisant penser à l'excellent album Kaputt du groupe canadien Destroyer).

Si les mélodies et la voix de Mark Kozelek sont un enchantement, Benji reste un album intime, complexe, extrêmement sombre et donc difficile d'accès. Il est important d'aller au delà de la musique et comprendre le sens des textes dans le but de mieux ressentir l'oeuvre de Sun Kil Moon, qui, par son originalité et sa beauté, marquera ce début d'année de la plus belle des façons.
kingana
8
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le 21 nov. 2014

Critique lue 469 fois

3 j'aime

Camille Duma

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