Black Sabbath
7.8
Black Sabbath

Album de Black Sabbath (1970)

Black Sabbath sort au Royaume-Uni la veille de la Saint Valentin (sic) 1970. Joli cadeau (empoisonné) à offrir à sa promise d'autant plus qu'il contient "Evil Woman". Ça c'est pour le coté dark et décalé. Et, chose qui ne devait rien au hasard, ce premier album du Sabbath sort un vendredi 13 !
En revanche, il fallut attendre trois mois et demi pour les Américains avant que la galette ne soit commercialisée sur leur sol.


Que ce soit musicalement ou du côté des paroles, l’album fut considéré à l'époque très obscur, ténébreux voire sataniste. Il ne faut pas oublier l'année : 1970. Aujourd'hui un tel album passerait totalement inaperçu, tant il existe des milliers de groupes qui naviguent dans un registre dix fois plus sombre. Mais début 70, nous ne sommes pas dans la même configuration sociale, politique et les mœurs en Angleterre sont connues pour être rigoristes et conservatrices. De l'autre coté de l'Atlantique la réception de cet album par les critiques ne fut pas bonne. A en lire la chronique qui en a pu être faite dans le magazine Rolling Stone le 17 septembre 1970 par l’inénarrable et corrosif Lester Bangs (qui avait à peine 21 ans quand il écrivit cette critique en témoigne). Selon lui, cet opus est une somme d'« improvisations dissonantes aux guitares (électrique et basse) effroyablement rapides qui envahissent tout le périmètre musical sans jamais pourtant être synchronisées avec le reste. » (« They even have discordant jams with bass and guitar reeling like velocitized speedfreaks all over each other's musical perimeters yet never quite finding synch. »)


Cela ne laisse planer aucun doute pour l'un des magazines musicaux les plus lus des États-Unis. Pourtant 40 ans après, ce même magazine fit comme un mea-culpa en intégrant ce premier essai de Black Sabbath dans la liste des 500 albums du XXè siècle, au rang #243. (l'album atteindra le ranking #8 dans les charts anglais et #23 aux USA)
Je me demande si Lester Bangs a réellement écouté l'album quand il dit que les guitares sont "velocitized speedfreaks". Car non, la gratte de Tony Iommi ne va pas à un train d'enfer. Ça serait presque tout le contraire monsieur Bangs. Hormis cette erreur flagrante et un manque cruel de discernement de la part de ce jeune premier, Bangs s'est fourvoyé dans le dédale inextricable de la comparaison. Dans sa critique, il explique en outre que Black Sabbath n'est qu'un copieur, un voleur de riffs et d'intentions. Pour se faire il cite Cream et le jeu de guitare de Eric Clapton. Toujours selon Lester Bangs, Black Sabbath ne serait qu' « un groupe qui fait tout un battage autour de la célébration rituelle d'une messe satanique, et tout le baratin qui va avec. » (« Black Sabbath, which was hyped as a rockin' ritual celebration of the Satanic mass or some such claptrap. »)
On voit à quel point Bangs aime les raccourcis pour descendre le groupe de Birmingham (ils ne seront pas les seuls d'ailleurs à subir les attaques simplistes du bonhomme durant sa carrière).


La pochette :


La bâtisse que l'on peut voir sur la couverture de l'album est le moulin à eau de Mapledurham situé sur la Tamise dans le comté du Berkshire (où se situe le château de Windsor et la ville de Reading).
Anecdote qui a contribué au succès du groupe et du disque : au deuxième plan, on voit une vieille bâtisse au bord d'une rivière. Jusque-là rien d'anormal, mais les frissons commencent lorsqu'on observe au premier plan, près d'un vieil arbre et entre les broussailles, une femme étrange (sorte de Mona Lisa gothique), pâle et vêtue de noir, avec un certain air suranné comme la Joconde. À part le côté lugubre de la couverture en soi, certains journalistes anglais ont alimenté la légende, en réalisant un reportage sur des pochettes de disques de rock où figuraient des mystères de ce genre. Le paysage, tout comme la femme de la couverture, ont disparu de la surface de la terre, et peut-être n'ont-ils d'ailleurs jamais fait partie de ce monde. Il semblerait que lorsque la photo de la pochette fut prise, la femme en noir ne fut pas là et qu'elle n'eût fait son apparition que lors du développement de la pellicule. Pour couronner le tout, les membres du Sabbath ont déclaré qu'on n'a jamais pu prouver l'existence d'une présence au moment du cliché. La photo qui illustre la couverture du disque est considérée, aujourd'hui encore, comme la plus mystérieuse de l'histoire du rock.


A l'intérieur de la pochette double de l'édition originale en vinyle, une croix inversée y figure. Elle contient un magnifique et glacial poème intitulé "Still Falls the Rain". Dans ce poème, d'un auteur inconnu, il y est fait allusion d'une jeune femme aux yeux vides qui croit ne pas être vue, peut-être est-ce la femme de la pochette.


Photo illustrant la pochette > LIEN


Le contenu :


Enregistré en novembre 1969 aux Regent Sound Studios de Londres (là où les Rolling Stones enregistrèrent leur premier album en 1964) en seulement deux jours (+ un jour de mixage) et avec un budget de 600£, Black Sabbath est non seulement le premier album du groupe, mais on lui attribue également la paternité du heavy metal. Autre chose à noter concernant l'album ; toutes les chansons auraient été mises en boîte en une seule prise chacune.
Alors je me dis que 600 Livres Sterling pour l'enregistrement couplés à seulement 3 jours de studio, cet album a dû être très rentable sur le marché du disque. D'autant plus qu'il est considéré par beaucoup comme étant une pierre angulaire dans le monde du metal. Selon moi, outre le fait qu'il soit le 1er LP du groupe, c'est LA référence du doom. Même si Paranoid semble plus riche musicalement, ce Black Sabbath est beaucoup plus sombre, plus inquiétant, plus lourd. Les textes sont bien plus empreints de mysticisme et de fantastique avec une atmosphère qui y règne beaucoup plus pesante, que ne le sera Paranoid.


Et même si Vertigo a voulu jouer la carte maléfique pour lancer le groupe (et en parallèle évidemment pour vendre son poulain), n'en demeure pas moins que le contenu est largement à la hauteur de tout le battage qui a pu en être fait à sa sortie. Les rumeurs et les légendes qui en ont découlé font partie du jeu. On aime se raconter des histoires et en entendre quand il s'agit d'un groupe aussi mythique que Black Sabbath. Encore aujourd'hui quand on parle du Sabbath, cet opus est le premier cité dans la rubrique 'accords tritoniques & autres paroles maléfiques'.
En effet, une partie du contenu de l'album est en consonance avec la couverture et le verso de la pochette.
Le morceau Black Sabbath semble être la bande sonore idéale pour le poème "Stills Falls the Rain", avec l'abominable et angoissant tintement de cloche, le bruit de la pluie et l'orage. Ozzy chante sur Satan et, après chaque vers, hurle désespérément : "Oh, nooooo !" Le morceau est fondé presque entièrement sur un intervalle triton (demi-octave), joué sur une guitare à un tempo très lent (Triton qui, au Moyen Âge, était souvent associé au diable dans la musique occidentale, à cause de sa sonorité ressentie comme oppressante et effrayante). On retrouve dans cette première chanson, la mention d'une 'Figure in Black' qui fait référence à Satan.
"Basically/N.I.B." raconte une histoire d'amour entre le Diable et une mortelle capable de le transformer en bon bougre, contribuèrent également à la polémique autour de cet album.
"The Wizard" et "Behind the Wall of Sleep" sont des morceaux d'inspirations fantastiques : la première est une référence à la nouvelle "Beyond the Wall of Sleep" de l'écrivain américain H.P. Lovecraft, tandis que la seconde s'inspire du personnage de Gandalf du roman "The Lord of the Rings" de J.R.R. Tolkien. L’harmonica sur ce morceau fut d'ailleurs rajouté plus tard et joué par Ozzy Osbourne.
"Warning" et "Evil Woman" sont des reprises de standards blues. Le premier étant l’œuvre de Aynsley Dunbar Retaliation ; groupe anglais qui n'a pas connu la célébrité à la hauteur de son talent (voir ses 4 albums studio), et le second titre est un classique de Crow qui est sorti quelques mois avant la reprise du Sabbath.


Même si l'atmosphère générale de l'album est doomy/heavy, le caractère bluesy n'est pas à exclure (Evil Woman et Warning); se rapprochant d’un Led Zeppelin mais toujours avec ce coté sombre en plus. Au niveau des paroles, on aborde des thèmes également obscurs (le diable, l’abandon, la pauvreté, le fantastique,...). Black Sabbath ; avec cet album et le suivant, pourrait être tenu pour géniteur du heavy, du doom, du stoner et plus généralement du metal.
Le groupe nous plonge dans des soli incroyables, impose des ambiances froides, parfois glaciales, psychées, rock’n'roll et blues. Plus de 40 ans après, cet album n’a pas pris une ride. Des titres comme Black Sabbath, le très lourd N.I.B., l'orientalisante intro de Sleeping Village et la magnifique longue pièce de plus de 10 minutes Warning touchent la perfection.


Black Sabbath - en à peine 40 minutes - chamboule la musique, entre dans l’histoire et instaure des codes jusque-là inconnus. Et ce n’est que le début car Paranoid arrivera dans quelques mois…
L'histoire est en marche.

lehibououzbek
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le 18 déc. 2015

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