Cavalcade
7.4
Cavalcade

Album de black midi (2021)

Schizophrénie contemporaine au goût de féérique

Le rock progressif a laissé derrière lui un patrimoine si monumental que rares sont les groupes qui ont l’audace ou la patience de proposer une pierre à l’édifice aujourd’hui. Plus rares encore sont ceux qui parviennent à éviter le double écueil de la copie et du clin d’œil pour s’inscrire pleinement dans la tradition et œuvrer comme leurs ancêtres l’ont fait à la réinvention perpétuelle d’une grammaire musicale.


Les Londoniens de Black Midi connaissent de toute évidence leurs classiques. Les gimmicks ultra-répétitifs de guitare électrique qui donnent un rythme chaleureux à Cavalcade sont les dignes héritiers de King Crimson période Discipline. Les savantes progressions harmoniques qui apaisent le jeu par une clarté organique renouent avec la nostalgie pastorale de Genesis. La puissance centrifuge de Yes est convoquée au détour d’une ritournelle tandis qu’un piano free-jazz donne des aspérités à l’ensemble.


Mais tout cela ne suffirait pas à faire de ce deuxième album un chef d’œuvre si le trio n’allait pas puiser ses influences bien au-delà de la sphère prog canonique. Cavalcade est un creuset d’une profondeur insondable où l’on peut trouver pêle-mêle une agréable fraîcheur gipsy, les errements blessés de la musique moderne d’un Stravinsky, un improbable riff funky à la Red Hot Chili Peppers, la douceur violoneuse de Jonny Greenwood et le minimalisme post-industriel de Godspeed You! Black Emperor.


Ce faisant, le groupe se montre absolument fidèle à l’esprit prog, qui n’a pas de frontières stylistiques, et réussit en même temps le tour de force de nous faire oublier cette densité grâce au soin apporté à chaque transition et à une vision d’ensemble qui constitue le supplément d’âme indéchiffrable de l’album. Malgré le caractère déstructuré qui saute aux oreilles dès les ruptures brutales et silences qui ne tardent pas à apparaître, Cavalcade se révèle en effet une œuvre d’une cohérence totale.


Tel un magicien, Black Midi parvient à transitionner sans en avoir l’air d’une montée en intensité digne de « A Day in the Life » jusqu’aux espaces arides d’un Ry Cooder, troquant la majestuosité désincarnée d’un orchestre symphonique contre la sensualité humaine des doigts d’un guitariste. Cela respire la vie, la puissance, la folie aussi, un caractère schizophrénique avec un goût de féérique. Un jeu de rappels et de symétries se dessine tout au long de l’album et se renforce à chaque écoute.


C’est aussi grâce à ses éléments les plus typés qui ne nous abandonnent jamais vraiment que l’album parvient à imposer une sorte de coloration d’ensemble qui transcende et relie les contrastes. Comme ces quatre cordes saccadées où Beethoven laisse péricliter sa Cinquième Symphonie sur un bord de table, ou cette voix de crooner qui fait ressurgir le fantôme déjà-là du Bowie de Blackstar.


Trop sérieuse pour faire dans la demi-mesure, mais trop détachée pour tenir plus d’une minute en place, cette musique déjoue finalement les codes de l’épopée prog grandiloquente pour en proposer une version contemporaine. Fini l’espoir des trente glorieuses – le grande ère prog a pris fin autour de 1975, coïncidence ? – et place au chaos, aux grands bouleversements, mais puisse cette cavalcade faire scintiller des lueurs.


Kantien_Mackenzie
9

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Créée

le 23 mai 2023

Critique lue 28 fois

3 j'aime

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laitaupold
9

Gloubiboulga

C'est en écoutant ce genre d'albums que je me rends compte à quel point le désordre peut au final s'avéré très organisé et emplie d'une beauté flamboyante

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