Chicago II
7.6
Chicago II

Album de Chicago (1970)

Il y a des albums que, paraît-il, j'ai entendus dans le ventre de ma mère : le cimetière des Arlequins de Ange, un Barbara du cru, le Brel du moment, le dernier Brassens et...Chicago, l'album gris, ou plutôt l'album d'argent, deuxième opus d'une longue liste, qui, à ma connaissance, s'élève aujourd'hui à plus de 20 ou quelque chose comme ça. A l'état foetal, je devais discerner peu de choses, peut-être les stridences des cuivres, les rythmes de batterie, peut-être le timbre des voix graves. Toujours est-il que j'en ai conservé des traces, qui, au fil du temps, ont constitué le substrat d'un souvenir puissant.


C'est l'album de chez moi, de ma maison, de mes dimanches, celui vers lequel on revient, une fois adulte, lorsqu'on visite ses parents et qu'on refouille la discothèque paternelle, comme on trempe un boudoir dans un verre de vin rouge et qu'on fait la conversation sur des musiques qui mettent d'accord, parce que sinon, il y a tout le reste qui fâche. C'est l'album à côté duquel trônent The Beatles, The Doors, The Pink Floyd, ces noms qui l'ont toujours fait sur l'étagère d'un père guitariste dans un groupe du samedi soir.


Dans ma famille, la discographie était fournie, près de 2000 vinyles m'a-t-on laissé rêver sans que que je ne puisse le vérifier. Dans ce paysage musical, haut en couleurs, riche de senteurs, de sueur et de fragrance, c'est Chicago qui l'emporte par sa saveur spéciale. Déjà, parce que mon père jouait le riff de "Make me Smile" rien que pour moi, enchaînant sur "Better and Soon" et "25 to 6 to 4" et,qu'en même temps, il mimait les trompettes avec ses lèvres : des trucs qui vous font dire que dieu existe et, qu'en plus, vous avez la chance d'être de sa descendance - du moins dans les moments où ce dieu n'est pas alcoolisé.


Je n'ai jamais oublié les alcoolisations à outrance, qui relevaient plus du boulot, du métro et des rêves perdus d'un homme aigri que de l'ambroisie. Mais j'ai la chance de ne pas avoir oublié non plus Chicago et, grâce à lui, à cet album là, album d'argent, lumineux, de laisser infuser aujourd'hui une rêveuse nostalgie plutôt que de nourrir une rancune tenace lorsque je songe à mon enfance. La musique sublime, il faut bien le reconnaître, et, dans la sublimation, elle reconstruit. Plus tard, quand je me cherchais quelque chose en plus, faute de trouver chez moi ce qui le faisait vraiment, j'allais dépoussiérer Creedence Clearwater Revival, Deep Purple, des bribes de vieux sons à l'époque du tout Nirvana et du tout Oasis, mais je dois dire que ce qui fonctionnait le mieux, c'était les trompettes de Chicago, qu'elles fussent les plus insolites ou les plus improbables, que je fusse le plus convaincant, ou tout simplement que le groupe eut ce côté ringard qui avait le potentiel de virer tendance en toute fin de soirée, quand on cherche du peps et de la nouveauté.


On s'est foutu de moi, pour sûr, souvent, en raison de cet attachement qu'on supposait naïf, infantile, à la limite pathogène, parce qu'il jurait surtout dans le décor des Joy Division et des Cure. Eu égard à leurs slows dégoulinants, du type " If you leave me now", j'ai appris que ça ne se disait pas trop d'aimer Chicago. C'est vrai qu'ils se sont peut-être compromis en fin de cycle. Mais, à leurs débuts, cela restait un groupe de Rock Progressif, avec des morceaux à rallonge, du rythm n' blues, des guitares qui suintent sans trop cracher, beaucoup de joie et d'insouciance, des flûtes parfois, des voix mélodieuses, et surtout, des trompettes, des trompettes, des trompettes, gaies, jamais amères, pimpantes, soyeuses, qui clamaient la candeur de "Wake Up Sunhine".


Et puis, mon père est parti. Il a retrouvé un dieu, un vrai, ou pas. Par mysticisme sans doute, j'ai voulu lui laisser quelque chose de son passage ici-bas, un peu dans la tradition égyptienne, pour assurer dans son voyage une note rock, joyeuse, paradoxalement vivante. Mais je n'ai pas pu lui laisser ce Chicago là. A la place, j'ai placé entre ses mains le premier vinyle des Animals, ce qui n'était pas mal non plus, d'aucuns diront même mieux. Chicago, je l'ai gardé pour moi et l'album figure désormais en bonne place dans ma bibliothèque, cet album gris, scintillant, album reminiscent, qui, depuis sa rangée, me tire parfois un rictus sans calcul.


J'imagine que c'est ce que Lacan appelle le Nom du Père.


https://youtu.be/Btq4MnwvQgM
https://youtu.be/pKvNoC0SRoY
https://youtu.be/7uAUoz7jimg [pour Terry Kath et son solo ]

Loëm
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le 11 févr. 2020

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