Fissurer son œuvre pour éviter la répétition

Wake Up! fut une surprise de taille. Un album assumant totalement ses envies pop et qui trouva sans difficulté son public. Un coup d’essai, un coup de maître. Hélas, cette œuvre fut également le début d’une spirale à problèmes qui aura raison des géniaux Boo Radleys. Quand on bénéficie de l’attention soudaine du grand public, il devient difficile de la garder.


Le meilleur moyen pour la conserver, c’est de refaire le coup de la fontaine à tubes qui donnent le sourire. Ce n’est pas forcément facile, mais faisable. Lalala, vive la gloire ! Hourra pour le hit miraculeux qui vendra notre disque sans difficulté et doté du bon coup de main, on tiendra avec cette recette durant dix ans au minimum !


La seconde solution, bien plus risquée, c’est de se remettre en question pour éviter la répétition et ainsi "emmener les fans quelque part où nous ne sommes jamais allés auparavant". L’emploi des guillemets n’est pas anodin. Il s’agit, mot pour mot, des paroles de Martin Carr, compositeur en chef du quatuor. Une explication très claire sur les intentions d’une sortie controversée qui aura fait couler beaucoup d’encre. Si le style de la bande n’a pas changé, C'mon Kids n’est pas Wake Up. Il s’agit d’un album aussi fou que les œuvres de leur période shoegaze et parfois bien plus !


Tout est dit dès le tout premier titre. « C'Mon Kids » envoie du gros son avec un Sice que l’on a jamais connu autant gueulard. Une ouverture très puissante renvoyant Oasis dans les cordes ! « Meltin's Worm » confirme juste après que la camisole de force des Boo a bel et bien cédé. Leurs délires psychédéliques et noisy n’ont pas réellement disparu sur Wake Up, mais ils avaient tendance à rester plutôt en place pour ne pas trop perturber les auditeurs… Même si le groupe prenait un malin plaisir à frôler les limites plus d’une fois. Voilà d’où vient cette réputation de disque dépassant les bornes. Un coup de folie de types ne supportant pas leur succès inattendu… Une notoriété évidemment contredite par les paroles du principal intéressé. Donc il faut juger le contenu de cette sortie de route de manière plus nuancée.


Oui, les Liverpooliens se sont accordés des libertés au point de ne pas être consensuels. Les frontières de la bienséance sonore sont franchies plusieurs fois grâce à leur barrage de guitares noisy (« Get On The Bus » débute pourtant comme une comptine folk). Leur psychédélisme se fait de nouveau sale et foutraque à l’image du délirant « What's in the Box » et les basses n’hésitent plus à se ressourcer dans la lourdeur du dub (le chef-d’œuvre « Fortunate Sons » à faire pâlir d’envie Massive Attack). L’expérimentation prend tellement le pas dans leur musique qu’ils reviennent même vers leurs affinités les plus progressives en composant des morceaux divisés en différentes parties contradictoires (« Get On The Bus » et le final « One Last Hurrah »).


La démarche de fixer de nouveau l’horizon du défrichage serait bien entendu vaine si les compositions n’étaient pas bonnes. Les Boo restent avant tout pop, donc soucieux d’écrire des mélodies aussi bien mémorables que séduisantes. « Everything Is Sorrow » en est l’exemple le plus évident. Cependant, même sur des bizarreries telle « Bullfrog Green » (et son introduction nous faisant pénétrer dans une jungle autant mystérieuse que loufoque), on navigue (encore) dans des sphères similaires aux Beatles. C’est-à-dire celles d’une pop n’ayant pas froid aux yeux de se frotter à des sonorités nouvelles.


Toutefois, C'Mon Kids ne parvient pas vraiment à égaler le coup de génie qu’était Giant Steps malgré une liberté artistique équivalente. A force de provoquer un désordre dans sa musique pour chercher une nouvelle voie à suivre, on peut tomber sur des ratés.
Le skeud n’est pas à l’abri de tout reproche, car son rythme est finalement inégal. On attend souvent les moments les plus énergiques avec impatience, au point de vouloir zapper les morceaux les plus lents et classiques tel « New Brighton Promenade » (alors qu’il s’agit une sympathique chanson prise à part). Il y a toutefois des contre-exemples comme l’épatant « Ride the Tiger » à la mélodie magique servant de guide dans son voyage fantasmagorique.


Pas irréprochable mais sacrément bon, C'Mon Kids méritait une autre destinée parce que le futur des Boo en aurait été autrement que ce qu’il fut par la suite. A vrai dire, la faute en revient peut-être au principal cerveau de l’affaire, Martin Carr. Quand on déclare que "Wake Up est son album le plus expérimental puisqu’il s’agissait de n’écrire que des tubes", il peut arriver qu’on puisse vous prendre très au sérieux !


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 8 nov. 2015

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