Compact Snap!
8.9
Compact Snap!

Compilation de The Jam (1984)

The Jam : About the young idea, excellent documentaire de Bob Smeaton, cerne au plus près en quoi The Jam ont marqué l’histoire du rock. Ils ont incarné une certaine idée de la jeunesse : la fougue, l’intransigeance, et une naïveté fougueuse et intransigeante valant lucidité aiguë et refus rageur du cynisme.


Et dans la foultitude de best of prétendant refléter la fulgurante comète que fut leur carrière, c’est Compact Snap qui enterre tous les autres les doigts dans le nez, tout simplement en reprenant tous leurs simples par ordre chronologique (toutes les faces A + quelques faces B qui les valaient bien).


Car The Jam fut le dernier des groupes à simples, c’est-à-dire le dernier groupe à produire des simples éblouissants ET à les fixer, l’un après l’autre, au firmament des charts – comme les Beatles qu’ils admiraient (en secret au début).


En effet, au début de leur carrière, ils se la jouaient petits cons agressifs (ce doit être ce qui leur a valu l’admiration éternelle des frères Gallagher, parce que sinon je vois pas). Pas comme des punks (ils ne l’ont jamais été), mais comme des mods : les roquets secs et hargneux qui vous mordent aux fesses en sapes impeccablement coupées (mais jamais colorées, la couleur, c’est pour les hippies et les pédés). Dans leurs deux premiers albums (1977), ils s’esquintent à vouloir être les Who à la place des Who. Lamentable échec dans le premier (In the city, All around the world). Echec dans le second (The modern world, News of the world). Mais la charge acerbe contre les tabloïds dans News of the world annonce déjà le Ray Davies de l’ère Thatcher que deviendra Paul Weller, et la critique rock a toujours le derrière qui lui cuit d’une morsure bien placée dans le par ailleurs prétentieux et puéril The Modern World : « Don’t have to explain myself to you / I don’t give two fucks about your review ».


Ca va très vite. A peine un an plus tard, ils en ont fini avec les conneries et sortent avec All mod cons une œuvre qui chez tout autre groupe pourrait être qualifiée d’album de la maturité. Sans lâcher un iota d’énergie, ‘A’ bomb in Wardour Street et surtout Down at the tube station at midnight voient Paul Weller s’affirmer comme un mélodiste original et hors pair. Lui qui naguère se vantait de voter à droite pour faire chier les punks écrit maintenant des textes durs et directs sur la situation explosive et la lepénisation des esprits dans le sillage du triomphe de Thatcher. La jeunesse se reconnaît en lui, la gauche voit en lui son porte-parole. Top of the Pops ouvre grand ses portes et l’Angleterre donne son cœur. Strange town et When you’re young sont des hits. When you’re young capture en 3 glorieuses minutes la générosité du groupe et l’essence même de la jeunesse (« Love is a drink and you get drunk when you’re young ! »). The Jam est devenu The Jam.


Ca va très, très vite. 1979 seulement et, dans le crépusculaire Setting Sons, la lucidité a rattrapé la jeunesse. Paul Weller lit T.S. Eliot, ses textes sont toujours plus complexes et ses musiques toujours plus sombres. Arthur s’appelle aujourd’hui Smithers-Jones, et il est tout étonné de se retrouver au chômage. The Eton rifles et Going underground perpétuent l’énergie révoltée et optimiste des simples précédents, mais c’est déjà une illusion : ils ne reflètent en rien le terrible pessimisme de l’album. L’Angleterre suit toujours. Avec toujours plus d’enthousiasme. Mais Paul Weller ne se suit plus lui-même.


Ca va trop vite. En 1980, la volonté de dépouillement de Sound affects apparaît rétrospectivement comme l’envie confuse de se débarrasser d’un fardeau trop lourd à porter. Le dépouillement n’évacue pas la tristesse (That’s entertainment), et, quand il se veut joyeux et optimiste, Paul Weller pompe maintenant sur les Beatles (Start ! étant une embarrassante resucée de Taxman). L’évolution salvatrice vers la soul music (1981-1982) paraît pour un temps recharger les batteries et le moral de The Jam… lorsque, au plus fort de son succès, au plus fort de son énergie positive (A town called Malice, Beat surrender), le groupe annonce sa séparation. C’est Paul Weller qui l’a voulue. Bruce Foxton et Rick Buckler sont les premiers à se prendre la nouvelle dans la gueule. Les fans, à leur suite, sont catastrophés. Mais, après 5 années d’une existence-éclair bourrée à craquer, The Jam explose tel une supernova et ne se reformera jamais.


Paul ne voulait pas que The Jam, le groupe de la jeunesse, se mette à radoter. La perfection esthétique de sa fin, exemplaire, reste l’apothéose d’une carrière sans une ride et sans une once de gras. S’il y a une place pour le concept de vertu dans l’univers du rock, alors, à coup sûr, c’est ce groupe lumineux et conscient qui l’incarne.


Trailer du documentaire (disponible en DVD) :


https://www.youtube.com/watch?v=MLe5RBQEGQ0

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le 12 mai 2017

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