Daydream Nation
7.8
Daydream Nation

Album de Sonic Youth (1988)

J’exhume des textes que j’avais écrits (mais j’ai quand même réécrit quelques parties) quand j’étais un peu plus jeune. Daydream Nation m’avait fasciné, jusqu’au point d’avoir influencé la manière de ressentir la musique, de penser quelque chose à propos d’elle. Hélas, c’est du titre par titre mais bon… Ainsi Sonic Youth, groupe ayant fait la dissonance et l’expérimentation ses spécialités sort Daydream Nation en 1988.

C’est l’un des disques phare de la discographie du groupe mais aussi, du point de vue musical, c’est le "milieu" de cette même discographie. En effet on pourra remarquer dans Daydream Nation des éléments post-punk, no-wave typique du début de leur carrière et le format de certains titres, rentrant dans un cadre un peu plus "conventionnel", qui ressemblent plus à ce que fera Sonic Youth dans le futur (même si le virage a déjà été amorcé avec Sister).

Teenage Riot ouvre cet album avec une douceur relative. Ce titre parle d’une révolution mais une révolution désabusée ("We know it’s down/We know it’s bound to loose", "Spirit desire/We will fall"). Durant les années 80, Ronald Reagan fut le président des États-Unis. Ainsi un libéral sur le plan économique et conservateur sur le plan social (pour aller vite). A l’époque, beaucoup de punks s’étaient révoltés contre sa politique. Daydream Nation fait écho à cette révolte, même si on pourrait dire que Bad Moon Rising était déjà le témoignage de cette époque, l’espoir en moins.

S’ensuit le fracas sonique de Silver Rocket. Certainement le morceau ayant le plus d’inspiration punk de tout Daydream Nation. Ici le "bruit" sert à reproduire le son d’une fusée (missile ?) qui décolle. Puis vient la société de consommation, ses naufrages et sa critique ("Fuck you! Are you for sale ?") incarné par The Sprawl avec sa guitare torturée, accompagnée par des accords apaisants sur la fin, le tout donnant une impression mélancolique. Après le désespoir vient la fuite nécessaire, contre tout ("Let’s go walking on the water" ) avec ‘Cross The Breeze. Ici les guitares illustrent avec leur rapidité, leur "linéarité" et leur dissonance cette fuite insensée, ce questionnement quasi constant ("I wanna know/Should I stay or go ?"). Ensuite le morceau se fera moins rapide, plus doux, les guitares seront bien plus "délétères", jusqu’à s’évanouir complètement.

Cependant, le voyage continue avec Eric’s Trip, titre se rapprochant du rock psychédélique. Toute la musique est distorsion. Alors que les précédents conservaient malgré tout une structure qui se délitait, ici il y a assez peu de cohérence. Le texte est un inspiré d’un monologue issu d’un film d’ Andy Wahrol, Chelsea Girls, où l’acteur (en l’occurrence Eric Emerson) est sous acide durant ce ledit monologue.

On revient au constat déprimant avec Total Trash. Le texte et surtout la musique font allusion au capitalisme et à ses cycles. En effet après une période de profit, le système capitaliste libéral connait une période de dépression se soldant par une crise pour ensuite repasser en période de profit, de "richesse". Bien que cela soit schématique, cela surtout à illustrer un dégoût. Sonic Youth a donc reproduit tout le long de Total Trash, le bruit d’un train. Train qui finira par dérailler pour ensuite reprendre son rythme d’une manière plus apathique. Il est clair ici que le groupe a voulu montrer l’absurdité et la stérilité du capitalisme.

Hey Joni arrive comme un électrochoc. Ici les guitares ne sont plus glauques mais rageuses. On nous invite à oublier le passé ("Forget the past, and just say yes"), d’oublier le futur et de mettre tout le côté navrant de la société derrière soi ("Hey Joni put it all behind you/Hey Joni now I’ve put it all behind me too").
Providence fait office d’interlude et les guitares laissent place a un piano aérien. Candle est à l’image de la pochette, un espoir fragile, prêt à s’éteindre. S’ensuit Rain King, où le déluge s’abat sur nous. Sur ce morceau on peut parler de « mur de guitares ». Mur qui s’effondre sur nous dans un "magma" sonique. La rage monte d’un cran avec Kissability, critique du quart d’heure de gloire warholien ("Look into my eyes, don’t you trust me/You’re so good, you could go far").

Daydream Nation se conclut avec Trilogy, un morceau, comme son nom l’indique, en trois partie. La première partie, The Wonder, nous décrit la ville du rêve américain, New York, tout en lumière et en distorsion. La deuxième partie, Hyperstation, planante et lorgnant du côté du rock progressif, où Thurston Moore nous annonce avec un ton prophétique: "Day dreaming days in a daydream nation". Alors, ces "jours de rêve" prennent forme dans Eliminator Jr. Une scène de révolte urbaine.

Daydream Nation est un d’un point de vue musical d’une très grande richesse, faisant une synthèse de tout ce qu’a pu faire Sonic Youth avant 1988. Mais il ne faut pas omettre sa forte résonance politique et son constat de la déchéance du rêve américain et l’envie de le dépasser.
Heliogabale
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le 9 déc. 2014

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