J'ai pensé à deux approches pour parler de l'album Des Visages Des Figures de Noir Désir, sorti en 2001. La première qui m'est venue à l’idée est celle de l'étude de l'album dans la continuité de la discographie du groupe. Puis je me suis avoué que c'est avec lui que j'ai découvert Noir Désir et qu'il a donc une place particulière dans mon univers musical. Je ne vais pas me mentir, je vais commencer par cette approche-là. Et nous placerons quand même l'album dans son contexte général (annonce du plan BIM).


On doit pouvoir s'épanouir à tout envoyer enfin en l'air.


J'ai écouté cet album à sa sortie. J'avais 11 ans. Ne faites pas ça chez vous. C'est pas un album à mettre entre les mains d'un minot. C'est un album complexe, tant au niveau de ses instrumentations que de ses textes. Passé l'introduction de L'Enfant Roi, la rythmique rock de Le Grand Incendie et la pop reggae des riffs de Manu Chao (et oui!) sur Le Vent Nous Portera, on se perd dans des rythmiques plutôt électroniques, des boucles incessantes. Les textes de Bertand Cantat, comme toujours portés par les surréalistes au sens large du terme, de Lautréamont à Thiefaine, se composent aussi de boucles, de métaphores mélangeant fantasme et matérialisme ( « Il y a là l'eau le feu le computer Vivendi et la Terre, On doit pouvoir s'épanouir à tout envoyer enfin en l'air », A l'envers à l'Endroit). J'avais 11 ans, bordel !


Puis, après une première écoute où on est partagé entre l'incompréhension profonde et la volonté un peu morbide de réduire les textes à des facilités adolescentes, on devient plus curieux. Au fil des écoutes, on accède à une... compréhension des chansons. Je ne pense pas vraiment apprécier certaines chansons à leur juste valeur et j'en surinterprète sûrement d'autres. Mais Le Vent Nous Portera n'est pas juste LE tube (meilleur chanson française des années 2000 dans le top Senscritique. Sérieux les gars?) dépressif à rythmique facile, c'est aussi une balade sur le temps qui passe et qui continuera quoi qu'il arrive (« Pendant que la marée monte et que chacun refait ses comptes, J'emmène au creux de mon ombre des poussières de toi »), Son Style 1 et Lost sont des parenthèses rock bienvenues, des chansons apparemment bien chépères (si vous comprenez pas ce mot, dites-le à voix haute) deviennent des chansons d'amour (Son Appartement). Des riffs de guitare discrets humanisent des boucles anxiogènes, par exemple sur A l'Envers à l'Endroit.


Même 15 ans après, je reste relativement hermétique à certaines chansons. Des Armes, mise en musique d'un texte de Léo Ferré, rentre dans la catégorie des reprises hallucinées où la présence de la voix est tellement forte et habitée que ça en devient dérangeant. On est comme devant un pote en plein trip sous drogue, on sait pas si on doit admirer, filmer ou appeler les secours. Et il y a ce morceau de fin, L'Europe, duo avec Brigitte Fontaine, 23 minutes de trip sous écriture automatique. Je suis trop jeune pour ces conneries. Je vais cependant être clair sur un point : jamais on ne met en cause l'intention du groupe. Aucune chanson n'est un exercice de style, rien n'est pompeux. Cet album est une expérimentation.


Le Grand Incendie


Des Visages des Figures est sorti cinq ans après 666,667 Club, leur précédent album. Le terme expérimentation est encore plus fort en comparant les deux opus. L'avant-dernier formait un ensemble homogène résolument rock. Le dernier va chercher plus loin. Il s'en dégage aussi un sentiment d'urgence . Les mélodies sont plus apaisées au sens de moins rock mais les textes sont plus torturés. Bertrand Cantat, le chanteur, assume la veine de Ferré et revient aux influences plus poétiques des débuts du groupe.


Les textes de Des Visages des Figures sont selon moi dans le prolongement des textes des premiers albums de Noir Désir, une veine moins développée dans Tostaky et 666,667 Club, les albums de la deuxième moitié des années 90. Des chansons comme La Chaleur, A l'Arrière Des Taxis ou Les Ecorchés (« Emmène-moi danser Dans les Dessous Des villes en folie Puisqu'il y a dans ces Endroits autant de songes Que quand on dort Et on n'dort pas », Les Ecorchés) résonnent encore mieux à la lumière de l'évolution du groupe. Des textes qui seront d'ailleurs réinterprétés dans la dernière tournée de Noir Désir.


Avec du recul, on aimerait pouvoir faire de cet album un espèce de testament, une fin crépusculaire à la vue de l'histoire du groupe après la sortie de cet album, qui restera leur dernier. Il est effectivement moins solaire que 666,667 Club mais reste une mise à nu, expérimentale certes mais sincère à chaque instant. Aucun effet de style ici, juste des tentatives, souvent très heureuses.

Julien_Mazars
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le 25 févr. 2016

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Julien Mazars

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