Djesse, Vol. 4
6.7
Djesse, Vol. 4

Album de Jacob Collier (2024)

Je ne peux pas dire que j’attendais particulièrement cet album. Les premiers morceaux sortis en amont ne m’avaient pas particulièrement donné envie mais je restais curieux du produit final. Et je dois dire que même si je ne partais pas giga hypé, j’ai quand même été assez déçu. Pourtant j’ai tendance à me considérer comme un fan de Jacob Collier. Je n’ai jamais eu la chance d’assister à ses concerts mais il reste le créateur de nombre de mes coups de cœur musicaux.


Je me souviens de ma première rencontre avec sa musique, assis à mon bureau la nuit tombée, casque sur les oreilles. C’est alors que la magie de l'algorithme YouTube fait commencer les premières notes de Time alone with you. Immédiatement j’ai été saisi. C’est quoi cette suite de notes en intro ? Et puis viens la suite, calme, mais avec le groove persistant à l’arrière, les brèves parenthèses explosives venant ponctuer la mélodie principale de la plus anarchique des manières, et les changements thématiques soudains.


Je crois que ça a été le coup de foudre.


Comment on passe d’un coup de foudre à l’indifférence ? Vu que c’est la première fois que j’écris une critique sur un album et que je m’attaque quand même à un artiste cher à mon cœur, j’ai décidé de me repasser l’intégralité de sa discographie avant d’écrire ces lignes afin de comprendre le cheminement éditorial de ce petit surdoué et de comprendre ce que j’aime dans ce qu’il fait, et ce que j’aime moins, et de pouvoir resituer sa dernière création.



I - Récap et premiers retours


Déjà, je crois que j’ai de base du mal à écouter ses albums. Qu’on soit clair, je suis friand des morceaux qui les composent et j’en ai écouté bon nombre en boucle. Mais c’est le problème avec la richesse de ses compositions. C’est qu'elles sont trop riches. Avec un ou deux sons qui peuvent facilement me rassasier, un menu entier amène souvent à l’indigestion. In my Room et Djesse Vol. 1 passent encore, car ils arrivent à être suffisamment condensés, mais Djesse Vol. 2… c’est juste trop. Il y a de superbes idées et une putain d’ambiance qui se dégage mais j’ai juste pas les oreilles assez musclées pour encaisser le truc dans son intégralité.


Mais je pense qu’il y a un autre problème avec ce deuxième opus, c’est qu’il révèle clairement un des gros défauts de cet artiste, c’est que des fois, il en fait trop pour pas grand chose. On le voit notamment avec la reprise Moon River, impressionnante sur le plan technique, mais qui pour autant n’arrive pas à se montrer aussi touchante que la version (originale ?) de Frank Sinatra bien plus épurée.


Il y a un autre truc que j’aime bien avec Jacob, c’est qu’il expérimente sans cesse. Et ça, pour le meilleur comme pour le pire. Quand il va faire des compositions symphoniques ou faire des reprises en faisant du beat boxing, il se rate rarement. Pareil pour quand il reprend des sonorités africaines et qu'il collabore avec des artistes à l’international, ça donne Everlasting Motion, et je suis heureux. Mais à force de réussir constamment dans ses prises de risque, peut-être que l’homme fini par prendre un chouïe trop la confiance.


Ce genre d’écarts commence à particulièrement se voir dans Djesse Vol. 3. Jacob assume ici un tournant plus pop tout en intégrant à ses morceaux des sous-couches de lecture nourries par sa culture jazz. Des fois, ça fonctionne du tonnerre, comme avec le morceau All I Need, accessible mais brillant, ou encore Running Outta Love. Les hauts sont très hauts.


Mais mon cher monsieur Collier, je comprends que quand on arrive à se débrouiller simultanément en beatbox, à la batterie, au piano ou encore à la basse, on se dit que le rap peut aussi être à notre portée. Mais la lucidité aurait dû te faire te rendre compte du contraire au moment où tu as commencé à te réécouter. Pour la première fois, Jacob trempe quelques doigts de pied dans le mauvais goût. C’est parfois causé par des passages rappés avec un flow de giga iencli, comme dans Count The People ou In my Bones, et d’autres fois c’est juste dû à des choix mélodiques un peu ridicules comme dans Sleeping on My Dreams.



II - Le petit dernier


Du coup, nous voilà arrivés au dernier album. Et ça pique. Déjà on retombe dans le mauvais goût à plusieurs reprises avec WELLL, Mi corazon et Over You qui n’est ni fait ni à faire. Mais c’est pas ça le pire. Le pire, c’est que la plupart des musiques me laissent cruellement indifférent, y compris le feat avec la fratrie Lawrence, groupe dont j’apprécie pourtant également le travail. Il y a toujours ce bagage technique présent, cette volonté de superposer un nombre conséquent de couches d’arrangement différentes, mais il est nécessaire de poser ce triste constat : Un arrangement complexe ne maquillera jamais du vide. Et du vide, il y en a. Je traverse des morceaux aussitôt passés, aussitôt oubliés, et ça me frustre. Ça me frustre d’être témoin du petit Mozart du XXIème siècle aussi peu inspiré.


Le syndrome Moon River refait ici une apparition sous la forme de Bridge Over Troubled Waters, qui équivaut peut-être à l'originale de Simon et Garfunkel mais reste bien en dessous en termes de frissons que des versions de Quincy Jones et d’Elvis. Et puis vient le diptyque Box of Stars. La première partie me laisse très mitigé. Il y a du bon, le début en gospel est super sympa, et certains passages de rap fonctionnent (!). Mais il y a aussi du moins bon, avec notamment l’intervention d’une artiste francophone qui m’a vraiment fait grincer des dents.


Il faudra attendre la deuxième partie pour que Jacob Collier nous rappelle qui il est et de quoi il est capable. Je suis d’ailleurs surpris que Box of Stars Part 2 ne soit pas le dernier morceau de l’album, tant il est une conclusion parfaite, pas nécessaire seulement à cet album, mais à tout ce qu’il a pu créer jusque là. J’ai rarement vu quelqu’un s'auto référencer d’une si belle manière. Le mixage nous fait traverser tel une étoile filante les plus grandes compositions de l’artiste comme si elles étaient des petits univers éclairés par des braises les révélant danser dans une clairière à l’ambiance festive une nuit d’été.


Mais rien ne change le triste constat qui suit : sur les 16 morceaux que compose cet album, je n’en retiens que 4 ou 5, la plupart concentrés aux extrémités de l’album et laissant donc place à un vaste néant en son milieu.


J’espère que la suite rimera avec remontada. Parce que sinon, je vais beaucoup pleurer.


Panineohm
4
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le 14 mars 2024

Critique lue 42 fois

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