On ne juge pas un livre sur sa couverture... Et encore moins des musiciens sur leurs tronches (heureusement...). De toute façon, on ne juge personne. On écoute, on aime ou on n'aime pas, on se fait une idée. Etc. Et dans toute cette histoire, le nom d'un groupe, lui, en dit beaucoup, et annonce toujours un peu la couleur, à tout le moins une forme, en tout cas une orientation musicale. Le groupe Cactus par exemple, par le caractère épineux de son nom n'annonce pas une musique particulièrement lisse. Avant même d'avoir lu aucun article sur eux, les Lemon Twigs m'annoncent quelque chose d'un peu « pop », ...quand même (qui a pensé à du thrash metal?). Alors, je lis le nom des Lemon Twigs un peu partout, Rock & Folk les encensent, et logiquement, je me méfie. Je me dis attention. Attention, ça ne veut pas dire que tu vas aimer...


Dès le morceau d'ouverture, « I wanna prove to you », il y a quelque chose de « grand » : le chant est une sorte de synthèse audacieuse et bienheureuse faite à la fois du style peu orthodoxe d'un chanteur américain de variété typique des années 1950 et d'une voix à la Paul McCartney. Sur « Those days is comin'soon », on est en plein délire Beatles, d'autant plus que la fin de la chanson peut vite renvoyer au disque psychédélique des Fab Four, « Sergeant Pepper's Lonely Hearts Club Band ». Jusqu'ici, ça va. La surprise ne se fait pas trop attendre, puisqu'elle arrive juste après ces deux premiers morceaux qui constituent une excellente entrée en matière : « Haroomata », au titre curieux, semble être fait d'un curieux matériau d'origine, en fait un condensé de plusieurs morceaux, d'où cette impression d'entendre une chanson à tiroirs, comme sur le titre suivant. Au départ de cet « Haroomata », les bases sont posées, on est tout de suite en phase avec la meilleure des pop-rock. Puis, d'un coup, sans crier gare, comme une bombe, surgit d'on ne sait-où un passage rock progressif, dans le style du premier Emerson Lake & Palmer (rien que ça), pour finir sur une « phase », une « partie » ou un « tiroir » d'obédience « Bohemian Rhapsody » de qui vous savez. « Hi-lo » est également fait de cette matrice-là : une base de chanson conventionnelle, en apparence pop-rock (approche délibérément fallacieuse de la part du groupe?), au rythme posé, presque lent, qui se transforme subitement par une accélération du tempo dévoilant la véritable identité du morceau, en réalité une multiplicité de chansons collées les unes aux autres, imbriquées intelligemment entre elles, comme si les musiciens étaient soucieux de mettre en évidence toutes leurs influences, aussi différentes soient-elles, au sein d'un même morceau, de trouver un point de raccord entre elles, par l'intermédiaire de quelque harmonie ou quelque note arrivant à point nommé puisque effectuant une jonction synchrone et bienheureuse, et tout cela en adéquation parfaite avec la volonté de l'auteur (j'imagine que ce n'est pas le fruit du hasard). Il faut beaucoup de génie et une connaissance encyclopédique de la musique pour arriver à de telles compositions (« Hi+lo »), pour faire glisser des harmonies vocales à la Beach Boys après un passage dont la structure et les voix ne constituent que du pur « Beatles », avant de faire reposer le tout sur un folk-pop à la Syd Barrett. « Baby baby », jolie chanson en arpèges sucrées, divinement chantée (c'est racé comme du folk anglais à la Fairport Convention). Les influences sont larges : des Beatles évidemment, pour les mélodies, la voix, le folk anglais, en passant par Queen, les Kinks, les Mothers Of Invention, mais aussi le rock et la musique progressive (King Crimson moins flagrant que d'autres influences mais tendez l'oreille...). « These words », « A great snake », et surtout « As long as we're together » ou encore « Frank », avec l'usage que les musiciens y font du synthétiseur, peuvent faire penser à Todd Rundgren. ...mais je m'arrêterait là pour les influences, après tout qu'en sais-je ?


Les Lemon Twigs ont bien réussi leur coup : certes, le titre « Frank » m'évoque des tas d'auteurs rock bien connus, mais tout est flou, car cette synthèse musicale qui est la leur est un carrefour difforme et beau, mais que je n'ai jamais vraiment entendu jusqu'alors, qui n'existait pas.


Leur identité musicale semble à la fois totalement unique, et en même temps complètement pompée sur de l'existant (Comment ne pas penser à Syd Barrett en écoutant « A great snake »?), mais les artistes créent-ils quelque chose d'absolument neuf et novateur ? Déroutant, assurément, les Lemon Twigs le sont. Géniaux, oui je pense. En tout cas, la richesse et la diversité de leur musique sont telles que j'ai déjà envie de réécouter l'album, avant même qu'il ne soit terminé. Et ce premier opus est à peine sorti que j'ai déjà hâte d'entendre son -déjà fort attendu j'imagine- successeur. Ok, j'aime. Si ça se trouve c'est une grosse arnaque et si c'est le cas je suis tombé dedans la tête la première. Mais j'aime bien, et je veux bien qu'il y ait d'autres arnaques de ce genre. On verra pour la suite, ...ma question est : vont-ils transformer l'essai ?

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le 9 févr. 2017

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Errol 'Gardner

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