- You're all... You're all
- About to whitness
- Some organic hip-hop jazz
- With 100% groove
- And yeah don't stop
- It's from The Roots
- Philadelphia based rap group
- Now check check.

Ca c'est de l'intro. Au moins, on sait directement ce qu'on va avoir entre les mains. Ces premières lignes donnent le ton, pour ceux qui ne connaissent pas The Roots. Leur premier album (Organix) tenant plus de la démo que d'un véritable premier enregistrement, leur premier EP n'ayant été distribué à l'origine qu'en petite quantité, il est évident que le groupe doit faire les présentations. D'autant qu'ils viennent de signer chez un label en train de devenir un poids lourd depuis l'explosion Nirvana, et qu'ils représentent l'une des premières signatures orientées hip hop de la maison de disque.

Les choses sont claires : The Roots n'est pas là pour tricher. Surtout quand les premières notes de Rhodes résonnent, que la caisse claire commence à imprimer son rythme et que la contrebasse se met à vibrer. On est en présence d'une vraie démarche musicale. Amir (B.R.O.T.H.E.R. Question qui deviendra plus tard ?uestlove), Tariq (Blackthought) et Malik (Malik B) ne veulent sonner comme personne d'autre que comme The Roots.

Le son est brut, quasiment sans post-traitement. Il sonne live. Mais pas live venant d'un concert, plutôt sortant d'une cave vaguement transformée en studio. La basse tâtonne puis trouve sa ligne, une première voix s'exprime : "There's Something Going On". Puis s'y ajoute une autre, en décalage. Puis encore une autre. La batterie intervient, tranquillement. Et la touche finale, le Rhodes vient asseoir tout ça, et donner une vibration, un côté soul à l'ensemble. On n'est que dans la deuxième partie de l'intro, mais pas d'erreur possible : il se passe définitivement quelque chose. En 1'19", les bases sont posées : pas la peine de chercher de la richesse dans les samples, dans les infra-basses ou dans des refrains surfaits. La richesse viendra de la complémentarité des instruments, de la simplicité de la combinaison (3 instruments seulement) et de l'espace laissé aux voix.

Un petit beat-box. Un deuxième qui lui fait écho. Une voix.
I Shall
Proceed
And continue
To rock the mic'
Pendant ce temps, une autre voix se faufile an arrière plan, camouflant l'entrée en jeu de la basse, du Rhodes et de la batterie. En 20 secondes, on comprend que The Roots tient ses promesses en nous sortant le porte étendard de cet album. Le son est résolument hip hop, mais ne tourne pas en boucle. Blackthought éclabousse Proceed de toute sa classe. En bonne tête d'affiche de ce titre, Il occupe premier et arrière plans, il déclame et se répond, il donne lui-même de l'épaisseur à ses rimes comme le fait un groupe live. Mieux, il le fait avec swing, sans forcer sur sa diction, sans chercher à devenir le best MC, mais en entrant dans la compétition par sa simplicité, son phrasé, sa présence et ses textes. Et quand il laisse la scène à son comparse Malik B, c'est pour que l'un mette l'autre en valeur et que leur complémentarité soit un des points forts du morceau. Proceed se termine du coup en un enchevêtrement de couches, de versions d'un même discours, d'un même son. "I Shall Proceed" disent-ils. Allons-y.

Distortion to Static s'annonce. Une batterie frappe. Grosse caisse, caisse claire. Aucun doute, le rythme est bien hip hop. Mais live. Après l'avalanche de voix des secondes précédentes, on reprend avec une nouvelle trouvaille : un rire simple qui se multiplie, se décale, se répond. Plus aride qu'avant, ce titre est plus dur, plus proche aussi des codes classiques du hip hop. Blackthought n'en ressort que plus présent. Malik B aussi, mais dans un style plus syncopé. Les instruments sont plus ordonnés, paraissent avoir moins de place pour improviser, mais de toutes façons, le refrain a déjà tout fait ici.

Le rire qui résonne encore, on passe à Mellow My Man, un titre qui s'enroule principalement autour du couple Rhodes/basse. Le son est plus posé, plus chaud mais moins sautillant. Pas grave, les voix des MCs s'en chargent. Après un premier couplet classique par Black Thought, les deux larrons s'interrompent, se répondent, et affichent une complicité sans égale. Le refrain ne gâche rien, au contraire, tant il semble être le point d'orgue de ce jeu vocal. Une trainée de cuivres en profite pour s''introduire dans le jeu et enrichir encore un peu plus ce morceau. Puis brusque rupture, l'instrumental se déconstruit pour devenir d'un coup complètement jazzy. Pas perturbé, Black Thought continue à rapper, jusqu'à convaincre tout le monde de reprendre le cours de la chanson. Sacrément funky, dynamique, puissant, ce morceaux est pour moi l'un des points d'orgue de Do You Want More?!!!??!.

Je pourrais continuer ainsi à décrire ce disque, chanson par chanson, tant je trouve qu'il y a des choses à dire sur l'un des disques les plus marquants de ma vie. Je pourrais mentionner le jeu sur les contretemps de Datskat, ou l'utilisation du kazoo qui y est faite, pour montrer la volonté de tenter un peu tout, de voir jusqu'où The Roots peut aller avec le moins de moyens possibles. On pourrait aussi disserter des heures sur la baffe monumentale infligée par Rahzel et ses bruitages de folie sur "? vs. Rahzel" et son beat box sur "The Lesson Pt. 1", sur la volonté de continuité avec Organix et la notion de Posse sur "Do You Want More ?!!!??!", sur la reprise impeccable de leur morceau "Essaywhuman?!!!??!" (déjà présente sur Organix) pour montrer leurs capacités d'improvisation musicales, sur l'humour omniprésents dans les textes, comme sur le titre "You Ain't Fly" (qui nous fait entendre la voix tellement classe de ?uestlove), ou encore sur la présence magnétique, hypnotique et charismatique d'Ursula Rucker et son spoken word pour clore l'album avec "The Unlocking".

Mais je souhaiterais plutôt revenir sur le titre "Silent Treatment", qui marque bien l'apport de The Roots au monde de la musique en général et du hip hop en particulier. Ce morceaux, au rythme plus lent que les autres, parle d'une relation amoureuse. Au lieu de ne parler que de ses conquêtes, de son côté playboy, de ses éventuelles performances sexuelles comme on pouvait le voir très souvent dans les albums de l'époque, Black Thought parle plutôt de son échec, de son incapacité à faire qu'une femme pour qui il aurait des sentiment s'intéresse à lui. Il raconte ainsi sa solitude, sa fragilité, là où tant de rappers auraient cherché à se mettre en avant. Une telle sincérité est à la fois touchante par rapport au personnage lui même, mais aussi à la démarche musicale de tout ce groupe, dans un genre qui tentait bien souvent de camoufler ce genre de failles personnelles.
Par ailleurs, d'un point de vue strictement musical, il est plus posé que les autres, mais aussi plus construit. On retrouve bien sûr le trio batterie/basse/Rhodes, mais on perçoit également très tôt un cuivre : il s'agit en réalité de Steve Coleman. Quelques secondes plus tard, un voix féminine vient inscrire encore plus la chanson dans la tristesse, la mélancolie et la solitude : ces nappes de voix sont dues à nulle autre que Cassandra Wilson. Que des invités aussi prestigieux se penchent sur un quasi-premier album est déjà intéressant par rapport à la qualité du groupe. Mais il n'est pas un gage de quoi que ce soit. On a trop vu de featurings se faire pour des questions de visibilité, pour mieux promouvoir un single ou un maxi, pour mettre le pied à l'étrier de quelqu'un qui n'a que ça pour exister, pour se laisser embobiner. Sauf que dans le cas qui nous intéresse, il n'est nullement question de promotion d'un single, ni d'une participation artificielle voulue par je ne sais quel producteur. Au contraire, on voit bien que le morceau a été pensé et construit ainsi. D'ailleurs, ce n'est qu'en lisant les (excellents) notes de pochettes qu'on découvrir le nom des participants, non sur un sticker collé en pleine face de l'album. Il transparaît ainsi que les invités de The Roots sont ici présents avant tout pour des raisons musicales tout autant qu'amicales (même si ce ne sera pas toujours le cas par la suite), symbole d'une démarche de recherche de musicalité plus que de succès économique.

Il est également intéressant de parler de l'architecture du groupe et de son fonctionnement. J'ai notamment parlé un peu de la présence de Rahzel sur cet album. Il faut savoir que Rahzel ne faisait pas partie du groupe à l'origine. Il est venu se greffer au moment de l'enregistrement de ce disque (ce qui explique sa présence sur un nombre limité de titres), après avoir partagé quelques moments de scène avec les membres fondateurs. De la même façon, Scott Torch est présent sur la plupart de morceaux, mais au moment de la sortie du disque, il avait déjà plus ou moins laissé sa place à Kamal qui occupe aujourd'hui encore la place (si importante pour ce groupe) de clavier.

Il en ressort que la manière de travailler de The Roots est essentiellement live. Il transparaît de nombre d'interviews qu'il jouent constamment. Ils se retrouvent dans le studio d'enregistrement de ?ueslove et y jouent des heures durant. Comme n'importe quel groupe, ils font des reprises, des medley, des improvisations, avec ou sans invité. Et ils enregistrent tout. Des heures et des heures de bandes qu'ils réécoutent plus tard, pour ressortir une ligne de basse un bout de mélodie ou un rythme particulier. Puis ils repartent de ce matériau de base pour façonner un morceau plus complet qu'ils soumettent à l'épreuve du concert. Et en fonction de tout cela, ils savent quelle direction ils doivent emprunter pour produire un morceau qui sera à la fois un travail de perfectionniste en studio et le résultat d'improvisations et de vérifications live. Et c'est exactement ce qui transparaît de Do You Want More ?!!!??! Il suffit pour s'en convaincre de lire les notes de pochettes. Grâce à cela, on comprend la genèse de chacun des titres, leur message, le pourquoi de tel ou tel effet, la présence de tel ou tel instrument, le tout sur un ton teinté de simplicité et d'humour. On se rend compte aussi que The Roots travaillent seuls à leurs morceaux : ils ne font pas appel à d'autres producteurs et arrangeurs. Ils ont ainsi le contrôle sur la quasi-intégralité de leurs morceaux (ce qui se ressent sur Organix, par exemple, qui laisse apparaître des faiblesses de production assez criantes).

Car au final, de quoi parle-t-on quand on évoque ce disque ? Pour les propres membres du groupe, il s'agit d'un album à mi-chemin entre la célébration de leur premier gros contrat, comme pour prouver au label de quoi ils sont capable (?uestlove dira que c'est un peu comme quand on reçoit son premier vélo de ses parents et qu'on leur dit : "et maintenant, sans les mains" pour prouver sa valeur), et la volonté de prouver que cet album et ce début de reconnaissance ne doit rien au hasard. Pour cela, The Roots a commencé à cette période quelque chose de tellement simpliste, mais également tellement révélateur de leur état d'esprit que je me dois d'en parler : la numérotation des titres de The Roots ne se fait jamais en fonction de l'ordre sur le disque, mais de l'ordre dans leur discographie. Ainsi, pour Do You Want More ?!!!??!, la numérotation de va pas de 1 à 16, mais de 18 à 33. C'est à la fois une manière de montrer la continuité entre tous leurs albums, un moyen de comprendre leur cheminement, leur construction musicale et intellectuelle et une raison pour nous de ne pas oublier le moindre titre qu'ils produisent, car chacun d'eux a une certaine valeur, une raison d'être.
G_Savoureux
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le 30 janv. 2012

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