End of World
6.8
End of World

Album de Public Image Ltd (2023)

On n’est plus en 1977… et c’est tant mieux !

Qui en 2023 attend un nouvel album de Public Image Ltd., huit ans après l’assez moyen What The World Needs Now ? Surtout quand les récentes années ont été illustrées par une accumulation de propos réactionnaires, pro-Trump, pro-Brexit et anti-jeunes d’un John Lydon qui semble à désormais avoir tout oublié de son propre passé de rebelle, et qui paraît illustrer, mieux que quiconque, le triste adage qui veut qu’on souhaite changer la société quand on a 20 ans, mais surtout qu’elle ne change pas quand on en a 60.

Pourtant, pourtant, comment ne pas ressentir à nouveau cette vieille excitation quand retentissent à nouveau les anathèmes auxquels ce vieux Johnny nous a habitués depuis toujours, clamés, voire chantés par cette voix qui n’est certes plus la même, mais porte toujours la même colère. Colère (de vieux con ?) contre la jeunesse et ses illusions, colère pas très sympathique, mais colère quand même : « Oh no / You’re being stupid again / Well done / It’s the students again / So sloganed again / … / Ban the bomb / Save the whale / Give peace a chance / You’re being sponges again / You’re being minges again / Full to the brim » (Oh non / Vous êtes à nouveau stupides / Bravo / Vous êtes encore des étudiants / Encore un slogan / … / Interdisez la bombe / Sauvez les baleines / Donnez une chance à la paix / Vous êtes encore des éponges / … / Pleines à ras bord) (Being Stupid Again).

Le texte le plus dur à digérer est sans doute celui de Walls, qui semble encourager l’érection de murs pour nous protéger des invasions, et supporter la police (!!!) dans son rôle de défense des structures sociales : « Your ignorance / Will be your fall from grâce / Martyrs and morons to the slaughter / No one will keep their place / No one will respect your space / How can you not know this? / ‘Tis the human race » (Votre ignorance / Sera votre chute / Des martyrs et des crétins jusqu’à l’abattoir / Personne ne restera à sa place / Personne ne respectera votre espace / Comment pouvez-vous ne pas le savoir ? / La race humaine est comme ça !) (Walls)

Si on passe sur ce genre de propos, ce qui n’est certes pas facile, on peut se lancer dans l’écoute d’un End of World qui comporte heureusement une bonne poignée de très, très bons titres. L’album s’ouvre sur Penge, qui est – avec Car Chase – l’une des chansons les plus combattives, les plus exaltantes, l’un de ces moments précieux où Lydon semble vouloir encore assumer son rôle de porte-drapeau, de pourfendeur de la tiédeur et de la lâcheté : « Gather little children / Gather around me / Don’t tell your parents / They’ll steal your destiny » (Rassemblez-vous, les petits enfants / Rassemblez-vous autour de moi / Ne le dites pas à vos parents / Ils voleront votre destin). Penge est une introduction magnifique à un album qui ne restera malheureusement pas à ce niveau…

Mais pour le moment, on continue à se régaler : End of the World, rempli de guitares à la fois funky et glaciales, permet de retrouver Lydon à son meilleur vocalement. Car si l’âge a évidemment changé la voix de l’enragé le plus célèbre de l’histoire du Rock, sa singularité reste édifiante : « No surrender / To the End of the World » (Pas question de se soumettre à la fin du monde), c’est quand même un superbe slogan de résilience, plus pertinent en fait en 2023 que le très usé, et beaucoup trop récupéré « No Future ». Car Chase, intense morceau électro irradiant une sorte d’assurance joyeuse, revient sur le territoire de Penge : « I don’t get bothered / I don’t get bored / I get ignored » (On ne vient pas m’importuner pas / on ne m’ennuie pas / on m’ignore), clame Lydon, avec une indiscutable fierté dans la voix.

On sourira en écoutant Pretty Awful, qui moque l’allure vestimentaire et le style de la jeunesse, ce qui est furieusement ironique quand on repense aux vêtements et au comportement des Pistols à l’époque, et ce que les « adultes » pensaient d’eux… soit la même chose… « You can’t come around here / Not looking like that / You fucking sad sack / Is that a wankers’ mac? » (Tu ne peux pas venir ici / avec cette allure-là / Putain de connaisse / Est-ce que tu porte un imper d’exhibitionniste ?).

Pas passionnantes musicalement avec leur orchestration minimale et peu imaginative, Strange et surtout Down on the Clown injectent une profonde tristesse au cœur de l’album. Down on the Clown bénéficie même d’un soupçon de mélodie, rappelant ce que faisait Bowie au cours de ses périodes les plus sombres : « The rain keeps falling down / On the clown / Rain keeps coming down / He’s on his own again » (La pluie continue de tomber / Sur le clown / La pluie continue de tomber / Il est de nouveau seul).

Dirty Murky Delight est « rappé » sur un background jazzy, pas si loin des titres sur lesquels Iggy Pop a lâché prise sur ses derniers albums. Ce n’est pas désagréable, on peut même aimer ça, mais, soyons honnêtes, ce n’est pas pour ce genre de choses qu’on écoute ni Iggy ni Johnny ex-Rotten. Sur un riff presque joyeux, qui rappelle celui de Lust for Life, The Do That voit la résurgence du phrasé punk de John Lydon, sur un texte de rébellion élémentaire, ce qui est inévitablement réjouissant : « I won’t do this and I won’t do that / And I won’t eat fat and I won’t talk that / And all of that tricky yackety-tack / And none of that is in-fact a fact / And that’s not a fact and I won’t do that » (Je ne ferai pas ceci et je ne ferai pas cela / Et je ne mangerai pas de gras et je ne parlerai pas de ça / Et toutes ces conneries délicates / Et rien de tout cela n’est en fait un fait / Et ce n’est pas un fait et je ne ferai pas ça).

LFCF est-il un règlement de compte avec ses anciens compères des Pistols avec lesquels il était en procès ? Avec les journalistes qui le critiquent ? Dans tous les cas, comment ne pas se délecter du plaisir répété que Lydon exprime à être haï ? « Well I like it, oh, how you hate me / Love it, when you slate me, ah-ha-ha-haa / But you cannot fake me / You’re all liars, fakes, cheats and frauds » (Eh bien, j’aime ça, oh, comme vous me détestez / J’aime ça, quand vous me descendez, ah-ha-ha-haa / Mais vous ne pouvez pas me tromper / Vous êtes tous des menteurs, des faussaires, des tricheurs et des escrocs).

Retour au meilleur avec les deux derniers titres de l’album. D’abord un North West Passage, froidement funky et obsessivement hystérique, terriblement actuel, parfaitement en phase avec ce que font des gens comme Fat White Family : on regrette seulement que tout l’album n’ait pas eu cette force-là ! Et puis on se quitte dans les larmes avec Hawaii, un chant d’amour, bouleversant de douleur et de tendresse, de John à Nora, son épouse décédée en avril dernier après des années d’épreuve sous l’emprise d’Alzheimer : le morceau où l’inventivité musicale du groupe s’accorde sans doute le mieux avec le chant de Lydon.

Une conclusion triomphale à un album qu’on aurait aimé plus homogène, plus consistant, mais qui confirme que John Lydon reste une personnalité et une voix saisissante de notre époque. Reste à voir comment Public Image Ltd traduiront tout cela sur scène…

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/08/13/public-image-ltd-end-of-world-on-nest-plus-en-1977-et-cest-tant-mieux/

Créée

le 16 août 2023

Critique lue 65 fois

4 j'aime

Eric BBYoda

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