Fake Sugar
6.3
Fake Sugar

Album de Beth Ditto (2017)

J'avais même pas 13 ans quand j'ai découvert Gossip en 2009. Je m'en souviens encore, ma mère m'avait laissé seul à la maison un soir.
C'était en novembre, je me faisais chier. J'ai eu une envie de fitness à 9h du soir. J'ai rythmé ma soirée en faisant des trucs inhabituels : des pompes, des crunchs, planches ventrales, planches inversées, c'était vraiment la fête.
De ce temps, j'étais plus Deezer que Spotify, donc comme je me suis dit "c'est bête de faire une séance de fitness sans la musique virile qui va avec", j'ai lancé Deezer.


Mais je me rappelle bien, y'avait cet album que je voyais trôner fièrement dans les tops au rayon CD de mon Auchan avec cette gueule inexpressive.


J'ai jamais été un grand fan de Heavy Cross. Pré-ado qui s'auto-éduquait musicalement à la 17 -la chaîne TV-TNT qui passe des clips toute la journée et qui change de nom une fois tous les deux ans-, ma vision de la musique se rangeait en deux catégories : les tubes, et les restes. Music For Men est très certainement un de ces albums qui a pû me dire que le rock n'avait pas ces contraintes, et que tous ces délires de singles jetables ne sont bons qu'à amuser les ondes radio, cela m'a appris à aimer découvrir les choses, sans temporalité et souci de consommation. Né en 96 ? Pas de soucis. Si AC/DC ne pouvait venir à moi naturellement qu'à travers une de mes tantes amatrice du genre, il fallait que je fasse un petit effort de mon côté.


Beth Ditto qui, en plus d'avoir une voix reconnaissable entre mille, une personnalité et un sens du contact incroyable, se révèle à mes yeux comme une de ces icônes rock modernes des années 2000-2010. Dans un premier temps, son parcours avec Gossip semble similaire à celui de Debbie Harry et Blondie, le succès en moins : Revendications punks du début des années 2000 à 2008 avant le succès commercial, Gossip s'embourgeoise et se tourne -parcours classique- du rock à l'électro-pop sur A Joyful Noise en 2012, succédant également à un discret EP pop solo de la chanteuse. Puis, et d'après ses dires, le groupe se disperse. Elle envoie des chansons à ses musiciens, s'en suivent des réponses vides, un fossé se creuse et l'aventure prendra fin dans le silence. Toutefois, après une longue traversée du désert dans les années 80/90 en tant que formation, Blondie a tout de même eu cette qualité de persistance de se reformer et de proposer, encore aujourd'hui, une musique qui lui est propre. Mais le succès est moins au rendez-vous.


Très souvent, et à moins qu'on ne s'appelle pas Pharrell Williams ou Will.I.Am dans l'industrie musicale, connaître l'exposition avec des projets solos quand on ressort d'un groupe n'est pas chose facile non plus. Je ne perçois pas en Fake Sugar une mise en avant médiatique incroyable, si ce n'est à travers la communauté LGBT qui la soutient pas mal vis-à-vis de son orientation homosexuelle. Les morceaux sur cet album détonnent avec une revendication pop pourtant assumée. Le blues de bar-niche à cowboys qui se mettent sur la tronche (clip de Fire) côtoie le rock sauvage, la country plus classique, chaleur populaire de l'Arkansas -Etat natal de la chanteuse-, la sensualité de son interprétation saturée, la ruse de ses mélodies, et une ambiance rétro-sud-américaine vénératrice des honky tonks palpable.


L'album connaît une déferlante de titres entraînants et tous différents dans sa grande première partie. In And Out, notamment, se pare de sa plus belle guitare et de ses échos lancinants. Les road-tripesques Savoir Faire et We Could Run, Oo Lala et ses petits airs rigolos de Funkytown de Lipps Inc. Johnny Cash et Dolly Parton ont reçu un coup de jus dans la tronche.


Chaque titre possède à la fois un sens d'intégration et une particularité. Et bien que Fake Sugar ne connaisse pas énormément les baisses de tensions, il faudra attendre à partir de Love In The Real Life pour retrouver un peu de cet incontournable amour que ces américains ont pour les ballades à chanter au coin du feu. Fort bien, il a fallu s'y faire.


La puissante Lover termine le bal. Clouds (Song For John) est une sorte d'encore minimaliste sans rythme, facilement oubliable.


Le punk est loin et Beth explore un style de musique peu représenté par la jeune scène pop/rock. La dernière artiste ayant une grosse influence médiatique s'étant essayé à cet univers le temps d'un album est Lady Gaga en 2016 avec Joanne, moins hétérogène et rugissant. Bah oui, quand on a pas l'expérience d'un groupe comme Gossip dirigé le temps d'une grosse dizaine d'années dans le sac à dos, et le vécu de l'Amérique des éleveurs et propriétaires de ranchs et Dodge Ram, ça s'entend quand même.


L'envie du stage d'intégration en pick-up avec Chuck Norris n'est pas bien loin.


(1) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Honky_tonk

superoozaru
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le 15 juin 2017

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