Flower Boy
7.5
Flower Boy

Album de Tyler, the Creator (2017)

Il y a à peu près deux ans de cela, un jeune homme de 16 ans, portant le pseudo The_French_Kid sur SensCritique, rédigeait une critique incendiaire sur le Cherry Bomb du rappeur Tyler, the Creator. La faute était alors partagée ; d'un côté, le jeune homme n'avait vraisemblablement fait aucun effort pour tenter de chercher les motivations et inspirations de l'artiste, qui fourmillaient déjà par milliers dans ce précédent opus. De l'autre, le rappeur californien ne lui avait pas facilité la tâche, noyant ses idées derrière des grosses basses saturées et un fouillis sonore assez incompréhensible. Cela donnait, à l'image de ma critique, un album indéniablement libre mais frustrant à tous les niveaux, que ça soit pour l'auditeur ou pour l'ex-leader d'Odd Future lui-même, qui avait plaqué toute sa rage sur ce projet mais n'avait pas eu la reconnaissance qu'il attendait.
Toutefois, l'art, qu'il soit doux ou violent, reste un formidable catalyseur émotionnel, et Tyler, qui n'allait pas en rester là, choisit d'opter pour la solution inverse. Au revoir les gros riffs de guitare à la N.E.R.D. et les hurlements de métalleux sur fond de paroles lapidaires, au revoir l'ado attardé qui balance des bombes colorées sur les flics avant de courir se pendre. Le retour de Tyler sous les projecteurs, si l'on met de côté l'obsession des médias autour de sa prétendue homosexualité, se fera sous le signe de la fleur et de l'innocence.
La cover de ce nouvel album, rêveuse et bariolée, le montre bien : Tyler souhaite un retour en arrière, vers l'insouciance de son enfance et le salon de ses parents, lorsqu'il introduisait pour la première fois dans le lecteur les disques qui lui communiqueraient l'amour de la musique ; de la Soul douce et onctueuse, avec le génial Baduizm d'Erykah Badu en tête. On retrouve ces sonorités nostalgiques sur un 911/Mr. Lonely ou un Boredom, des morceaux hédonistes où il est pourtant question de l'ennui et de la solitude.
Car ce sera également le pari de cet album, évoquer la tristesse de la vie adulte, comme on y est habitué depuis longtemps avec Tyler, sur fond de feel good music, afin de faire figurer une touche d'espoir au milieu de tous ces malheurs. Le même procédé avait été utilisé en avril dernier par Joey Bada$$, qui signait comme Tyler un retour en très grande forme avec son second album, lequel projetait l'état d'esprit pessimiste de l'Amérique noire au lendemain de la victoire de Trump, mais aussi la conscience que tout cela ne pouvait être qu'une parenthèse odieuse dans l'histoire du pays, et que tout allait bientôt rentrer dans l'ordre. Tyler, lui, nous transmet une ode à l'amour et à la rêverie, les moyens de s'extraire de la monotonie de nos vies quotidiennes. Sur Boredom, il dit que l'ennui est finalement nécessaire, car nous pousse à développer notre inspiration.
Cet optimisme nouveau magnifie sa musique et lui donne un nouvelle teinte, plus léchée et plus ouverte. Là où ses précédents disques avaient toujours donné de lui une image de génie autiste renfermé sur lui-même, ce nouvel opus ouvre sa créativité sans failles au reste du monde, sans qu'elle n'en soit restreinte. Même les deux titres plus durs disséminés en ovnis dans l'album, le faux banger Who Dat Boy avec A$AP Rocky et I Ain't Got Time!, sonnent plus lisses et moins tapageurs qu'un Buffalo ou un Tamale.
Muni de collaborations plus discrètes mais plus judicieuses (on est là encore loin des excès de Cherry Bomb) mêlant Frank Ocean, Lil Wayne, Kali Uchis ou le petit prodige Steve Lacy, ce Flower Boy est lumineux sur tous les points ; la musique de Tyler y gagne en accessibilité et en postérité, et lui-même comme vous et moi en sortons plus apaisés, plus épanouis.
Si je vous avait dit ça d'un album de Tyler, the Creator il y a encore deux ans, nous aurions tous ri aux éclats. Voilà un pari gagné, en somme.

romainbonhommelacour
9

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Créée

le 3 août 2017

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