La frontière entre se faire influencer et manquer d'inspiration est fine, mais un Drake paresseux franchit allègrement cette limite sur son nouvel album For All the Dogs.
Trop long, réchauffé, et noyé par ses invités quand il s'essaye à une nouvelle formule, Drake se perd en essayant de faire plaisir à tout le monde. Celui qui avait promis de « faire revenir l'ancien Drake » sur ce nouvel opus ne semble désormais plus capable que de s'auto-parodier. En témoigne ses saillies misogynes, quasiment ringardes, sur Rihanna. Là où dans ses précédents projets, on aurait eu affaire à un crooner désabusé et pourtant capable de 2nd degré avec un sérieux d'aplomb, on a affaire ici à un artiste cherchant le bon mot, la petite phrase, mais pas le morceau complet. Les lamentations qui faisaient mouche sur Take Care ou Nothing Was the Same semblent ici fausses, uniquement faites pour choquer, voire écrites par une IA imitant Drake.
Quand il s'essaye à des structures nouvelles, ces vents de fraîcheur bienvenus dans un album trop long (23 morceaux!) ne nous font que penser au talent de réinterprétation que Drake a perdu au fil des ans. Jamais inventeur, mais imitateur de génie par le passé, il peine aujourd'hui à se hisser au niveau de ses invités au sommet de la musique américaine. SZA éclabousse de son talent Slime You Out, Yeat prend à son compte IDGAF, Lil Yachty domine Another Late Night.
Symptomatique d'un rap mainstream américain sclérosé, qui peine à trouver des nouvelles têtes, For All the Dogs souffre presque de ce qu'on pourrait appeler le streaming syndrom. Des albums longs, remplis de featurings hauts de gamme, mais qui ne semblent que cocher des cases, tant au niveau des producteurs que des invités. L'inévitable BNYX est présent sur 5 morceaux, mais démontre surtout l'incapacité de Drake à aller désormais au delà de la hype. Dans une industrie rap en perte de vitesse aux États-Unis, Drake peine à assumer son statut de sauveur, car même au delà de la qualité intrinsèque timide des morceaux, aucun hit ne peut véritablement sauver cet album d'un désastre commercial.
S'il avait une longueur d'avance dans ses choix de collaboration par le passé, sachant surfer sur la vague des nouveaux artistes avant même que ces derniers n'aient réellement explosé, Drake semble aujourd'hui en grande difficulté pour lire le paysage musical actuel. SZA est une tête d'affiche depuis 2017, Yeat depuis 2021 et même Sexyy Red a une popularité très importante depuis cette année. Sans ce côté parrain de la nouvelle génération, Drake perd quelque chose qui légitimait sa musique : la mission de rendre mainstream des genres encore nichés. Cette mission qui avait été accomplie avec brio sur More Life par exemple n'est même pas tentée sur FATD.
Ce non-virage est d'autant plus décevant après la tentative Honestly, Nevermind. Boudé par la critique et en partie par le public américain, ce projet avait cependant démontré la capacité de Drake à se réinventer, chose qui manquait cruellementà Certified Lover Boy, à Dark Lane Demo Tapes et même à Scorpion malgré le raz-de-marée commercial. On espérera que la pause promise par Drake après FATD arrivera réellement, car une réflexion sur sa musique est nécessaire après cet album.